BEYROUTH: « Nous vivons dans la souffrance ». Face aux ruines du port de Beyrouth, des dizaines de personnes ont commémoré dimanche les deux mois de l'explosion meurtrière avec un lâcher de ballons symbolique, criant leur colère contre une enquête qui piétine et la passivité des dirigeants.
L'explosion du 4 août a fait plus de 190 morts et 6.500 blessés, ravageant des quartiers entiers. Deux mois plus tard, l'enquête des autorités libanaises n'a toujours pas abouti et aucun résultat n'a été rendu public.
Dimanche, peu après 18h00, à l'heure exacte de la déflagration qui a fait basculer Beyrouth dans l'enfer, des dizaines de ballons blancs sur lesquels étaient inscrits les noms des victimes ont été lâchés vers le ciel, depuis une avenue surplombant le port. Cet hommage a été suivi par le coup d'envoi d'une série d’événements intitulés « Beyrouth je t’aime » qui se tiendront sur quatre jours.
Les organisateurs de cette campagne ont rassemblé des lettres d'amour et de soutien à la capitale libanaise de plus de quarante pays à travers le monde, en collaboration avec des diplômés libanais de la London School of Economics (LSE), du mouvement artistique Art of Change et de groupes d’artistes locaux et internationaux.
Plusieurs chants libanais ont été diffusés par des haut-parleurs, notamment Li Beirut (pour Beyrouth), interprété par la dernière légende vivante de la chanson arabe, Fairouz.
Brandissant les portraits de victimes, leurs proches et des militants se sont rassemblés, bloquant brièvement la route.
«Nous sommes ici pour nous souvenir et pour rendre hommage aux victimes. Nous essayerons de continuer d’organiser les événements près de la zone portuaire», explique Rola Al-Halabi.
Ils ont également exprimé leur colère contre les dirigeants, jugés responsables du drame de par leur corruption et leur incompétence.
« C'est trop leur demander de savoir qui a commis ce crime contre l'humanité ? » s'indigne Samia.
Mère de jumelles de neuf ans, elle a perdu son mari qui travaillait au port.
« Nous vivons dans la souffrance. Mes enfants ont été privés du mot ‘papa’ pour toute leur vie », ajoute-t-elle.
Salwa a perdu son oncle, lui aussi employé au port. « Il était comme un père pour moi », lâche la jeune femme.
« Je veux juste dire, que Dieu vous pardonne. Comment peut-il leur pardonner, mais que Dieu leur pardonne », ajoute-t-elle, avant d'être interrompue par une autre femme, souhaitant elle « que Dieu se venge d'eux », en référence aux dirigeants.
« Nous voulons juste que toute personne impliquée, responsable de cette explosion, de cette catastrophe, soit punie », ajoute Salwa.
De l'aveu même des autorités, l'explosion a eu lieu dans un entrepôt où était stockée depuis plus de six ans et « sans mesures de précaution » une énorme quantité de nitrate d'ammonium.
Refusant les appels à une enquête internationale, les autorités ont lancé leur propre investigation. Une vingtaine de personnes ont été interpellées.
Mais c'est toute la République qui était au courant des dangers que posait une telle quantité de produits chimiques, à quelques encablures seulement des quartiers résidentiels de Beyrouth.
Le président Michel Aoun, le Premier ministre démissionnaire Hassan Diab, des membres de son gouvernement mais aussi des responsables des services de sécurité avaient été avertis.
Plus tôt dimanche, avec la participation du célèbre cycliste Lance Armstrong, des dizaines de personnes ont pédalé du port jusqu'au front de mer, une initiative organisée par plusieurs ONG pour récolter des fonds destinés à réparer les logements dévastés, fournir de la nourriture et des médicaments aux plus démunis.
(avec AFP)