En route vers la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères au Koweït, le ministre libanais des Affaires étrangères, Abdallah Bouhabib, déclare: «Je ne m’y rends pas pour remettre les armes du Hezbollah.» S'il ne devait livrer qu'un langage fleuri et des paroles creuses, mieux valait qu'il n'y aille pas du tout.
Le Liban ne peut répondre favorablement aux demandes arabes de mettre en œuvre la résolution 1 559 du Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies (ONU) – qui appelle, entre autres, au désarmement du Hezbollah – car il a, depuis longtemps, renoncé à sa souveraineté, devenant un simple pion au service de la stratégie régionale agressive de l’Iran. Le Liban ne possède pas de gouvernement capable de prendre des décisions indépendantes. En effet, la réunion du gouvernement de la semaine dernière, après des mois de paralysie imposée par le Hezbollah, a été décrite comme un miracle méritant une célébration nationale frénétique.
Le ministre en question invoque la «paix civile» pour justifier la non-application de la résolution 1 559 – comme pour dire qu’il y aura une guerre civile si quelqu’un essaie de désarmer le Hezbollah. Il a raison: Hassan Nasrallah menace ouvertement de faire la guerre à ceux qui défient le Hezbollah. Mais la guerre se profile de toute façon à l’horizon.
Si le Hezbollah consolide son coup d’État insidieux, il risque de déclencher une confrontation régionale encore plus dévastatrice avec Israël. Il suffit de visiter Beyrouth pour se rendre compte que la guerre a commencé il y a bien longtemps. Une guerre brutale d’usure et de famine, menée par l’État contre ses citoyens et qui pourrait finalement entraîner plus de morts que la pire guerre menée par Israël.
Laissons M. Bouhabib tenter d’éblouir ses homologues régionaux avec sa poésie absurde dans un arabe modeste. Toutes les conditions sont réunies pour entraîner un gel profond des relations arabo-libanaises, car les dirigeants libanais, par leurs actions délibérées, ont emprisonné leurs citoyens, ainsi qu’eux-mêmes, dans une entité agonisante qui ne ressemble même plus à un État arabe.
Saad Hariri a annoncé son retrait de la vie politique la semaine dernière. Il a déclaré qu’il n’y aurait pas de résultats positifs possibles dans une situation caractérisée par «l’influence iranienne, la confusion internationale, les divisions nationales, le sectarisme et un État faible». Il a reconnu que le peuple le considère désormais comme un élément d’une classe politique défaillante et discréditée.
Le désespoir de Saad Hariri ne s’est pas manifesté soudainement: en 2019, lors de ma dernière rencontre avec lui, sa frustration était palpable. C’est celle d’un homme qui a tenté toutes les ruses de la politique pour marier sa profonde croyance dans le nationalisme arabe, héritée de son père, avec les réalités de la vie politique libanaise dominées par une faction qui rompt le tissu social et la souveraineté du pays au service d’une puissance étrangère hostile.
«Les élections de cette année au Liban sont la meilleure occasion pour les électeurs de punir les politiciens qui ont trahi leur nation.»
Selon la Banque mondiale, le produit intérieur brut (PIB) du Liban est passé de 52 milliards de dollars (1 dollar = 0,90 euro) en 2019 à près de 22 milliards de dollars en 2021. Il s’agit de la plus grande crise financière au monde. Le seul secteur qui a prospéré est la participation du Hezbollah au commerce régional des stupéfiants. Pendant ce temps, le coût relatif de la vie a paradoxalement grimpé en flèche, faisant de Beyrouth en faillite l’un des endroits les plus chers à vivre de la planète. Les prix des produits de base sont souvent jusqu’à 40 % plus élevés qu’à New York.
Nous sommes nombreux à soutenir, depuis longtemps, que les élections de cette année sont la meilleure occasion pour les électeurs de punir les politiciens qui ont trahi leur nation, mais de nombreux Libanais redoutent ce qui se substituera au Courant du futur de M. Hariri. J’aimerais croire que ces sièges seront occupés par de jeunes progressistes qui représentent les valeurs du soulèvement de 2019, mais ces courants politiques restent embryonnaires et il existe un danger que des opportunistes puissent s’emparer du vote.
Le Hezbollah passe déjà en revue les candidats sunnites qu’il pourrait acheter. Bahaa Hariri a fait part de son intention de poursuivre l’œuvre de son père, mais Bahaa Hariri n’est autre qu’un patronyme prestigieux dans un système politique débordant de personnages politiques médiocres, dont le seul atout est leur statut de descendants corrompus d’anciens seigneurs de guerre et de despotes.
Le président libanais, Michel Aoun, et son gendre, Gebran Bassil, tentent, depuis des mois, de retarder ou d’annuler les élections, sachant que leur Courant patriotique libre (CPL), totalement discrédité, perdra beaucoup de sièges. L’absence d’un représentant crédible des communautés sunnites pourrait leur servir de prétexte pour faire avorter le processus démocratique et le retourner en leur faveur.
Le retrait de Saad Hariri renvoie la balle dans le camp des citoyens libanais. La classe politique libanaise constitue le problème. Ce n’est pas qu’elle ne possède pas de solutions à la tempête de crises du Liban, mais plutôt qu’elle bloque activement les solutions pour protéger ses propres intérêts. Ainsi, la Banque mondiale dans son dernier rapport, intitulé «Le Grand Déni», fait allusion à une «dépression délibérée» infligée par cette classe politique kleptocratique et un système sectaire moribond.
Les citoyens doivent non seulement exiger que les élections aient lieu à temps, mais aussi collaborer au-delà des clivages confessionnels et factionnels pour soutenir les candidats qui représentent une rupture nette avec le statu quo corrompu. S’ils ne le font pas, ce seront Hassan Nasrallah et Gebran Bassil qui prendront l’initiative, en sabotant le système démocratique et en comblant le vide créé par le départ de Saad Hariri avec le pire du pire.
Lorsque des citoyens affamés doivent affronter un hiver glacial sans électricité, sans emploi, sans hôpitaux, sans possibilités, sans rien, il est facile d’être apathique. Mais c’est précisément à cause de cette situation infernale que les citoyens doivent punir les responsables et agir de manière décisive pour un changement radical. Nul besoin pour le Liban d’être un narco-État en faillite, bien que certains de ses dirigeants insistent pour qu’il le soit. J’écris ces mots avec un cœur lourd, mais je suis déterminée à rester optimiste, pour le bien du Liban et du peuple libanais aux ressources inépuisables.
Le refus de M. Hariri de continuer à participer à cette mascarade politique montre la voie à suivre, non seulement pour les sunnites, mais aussi pour les chrétiens, chiites, Druzes et autres: tant que vous votez pour les mêmes personnes, vous obtiendrez toujours les mêmes résultats.
Le séisme politique que constitue le retrait de Saad Hariri doit être suivi d’un tsunami social pour que les citoyens expulsent tous ceux qui les ont trahis, restaurent la souveraineté de leur nation et rouvrent les portes du pays à la région arabe et au monde. Ne nous contentons pas de prier pour un miracle – faisons en sorte que ce miracle se produise!
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com