PARIS: La mise en garde de Abdel Halim Khaddam au Premier ministre libanais Rafic Hariri était sans équivoque : « Méfie-toi de ces gens-là ! Ils sont fous et peuvent te faire du mal. »
L’homme qui a passé trente ans dans les hautes sphères du gouvernement syrien, sous le règne de Hafez el-Assad puis de son fils, Bachar, savait de quoi il parlait ; en février 2005, Hariri fut assassiné à Beyrouth par des terroristes liés au régime syrien.
Khaddam, ancien Premier ministre syrien qui a succombé à une crise cardiaque mardi matin à l’âge de 88 ans, avait raconté une nouvelle fois cette histoire à Saad Hariri, le fils de la victime, quand il lui avait rendu visite à son domicile à Paris, quelques mois après l’assassinat.
En mai 2015, Abdel Halim Khaddam a ouvertement accusé le Hezbollah et des membres du régime syrien d’être derrière cet assassinat. Khaddam a de même été interrogé à Paris par des représentants du tribunal chargé de juger les responsables de l’assassinat de Hariri.
Pendant trois décennies, Abdel Halim Khaddam fut la personnalité la plus proche de la famille el-Assad en Syrie. Le Syrien sunnite baasiste était issu d’une famille de classe moyenne de la ville baleinière de Banias, au bord de la Méditerranée.
Autrefois considéré comme le successeur de Hafez, Khaddam a aidé Bachar à resserrer sa prise après son arrivée au pouvoir en juin 2000. Dans les jours qui ont suivi la mort du père, il a promu Bachar, par des décrets, au grade militaire de général et commandant en chef des forces armées syriennes - une initiative-clé dans le processus incertain de succession.
Avocat de formation, Khaddam a occupé le poste de ministre des Affaires étrangères pendant 14 ans avant de devenir vice-président en 1984. Il a également participé à forger la politique de la Syrie au Liban. L’ancien ambassadeur de France en Syrie, Jean Claude Cousseran, a confié à Arab News que Khaddam était le politicien radical le plus proche de Hafez el-Assad et l’homme qui a géré le dossier libanais d’une main de fer. De nombreux Libanais détestaient Khaddam parce qu’il représentait l’occupation syrienne avec toutes les conséquences tragiques qu’elle a entrainées.
Yves Aubin de la Messuzière, un autre ancien ambassadeur de France qui dirigeait le bureau du Moyen-Orient au ministère français des Affaires étrangères, se souvient quand Khaddam a accompagné Bachar el-Assad lors d’une visite d’Etat à Paris en 2000, suite à une invitation qui lui avait été adressée par le Président Jacques Chirac après le décès de son père.
De la Messuzière, arabiste, se rappelle avoir attendu avec Khaddam les deux présidents lors de leur rencontre en tête à tête. Dans une salle adjacente au palais de l’Elysée, Khaddam paraissait furieux et impatient : “Pourquoi est-ce si long? Que font-ils ?” demandait-il à haute voix.
En 2005, Khaddam a critiqué ouvertement l’assassinat de Hariri ainsi que la politique étrangère de la Syrie en général, et a démissionné du parti Baas. En décembre de la même année, il s’est établi à Paris, à l’élégante avenue Foch, sous prétexte de suivre un traitement médical. Sa maison était surveillée nuit et jour par la police française.
En 2011, il est devenu l’un des principaux opposants au régime de Bachar el-Assad et de la guerre que ce dernier menait contre son peuple. Depuis sa base à Paris, Khaddam a tenté de se tailler un rôle au sein de l’opposition syrienne, mais a eu des difficultés à gagner la confiance d’autres dissidents qui se méfiaient de son long passé au service du parti Baas, pendant plusieurs décennies.
En plein soulèvement populaire, Khaddam a déclaré que les Syriens seraient contraints de prendre les armes pour se défendre eux-mêmes, si la communauté internationale ne réagissait pas pour les protéger. Il a accusé Assad et sa famille d’inciter les affrontements sectaires en Syrie.
L’opinion publique française était hostile à la présence de Khaddam à Paris, critiquée par de nombreux politiciens français qui s’étaient opposés dans le passé à sa politique au Liban. Son opposition franche à Bachar el-Assad, toutefois, l’a en quelque sorte acquitté.
Khaddam sera enterré en France et les obsèques seront organisées par la municipalité de la ville de Paris. Son fils Jihad est bloqué en Turquie en raison de la pandémie de Covid-19. Son fils Jamal, lui, est en période de convalescence à Paris après une opération à cœur ouvert.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com le 1 avril 2020.