ALGER: Les Algériens ont terminé l’année 2021 en fanfare. Le 18 décembre, ce fut une véritable messe nationale: des milliers d'Algériens ont investi la rue pour célébrer, par une nuit glaciale, la victoire de leur équipe à la Coupe arabe de football organisée au Qatar.
La télévision publique a diffusé en direct la cérémonie de réception organisée par la présidence algérienne pour rendre hommage à la sélection nationale: le chef de l'État a posé en compagnie du chef de l'armée à l’occasion d’une photo de famille réalisée au Palais du peuple, à Alger, avec le précieux trophée «arabe»: une éclaircie qui a légèrement fait oublier aux Algériens les séquelles d'une année et d'un été qui marqueront à tout jamais leurs esprits.
Feux de forêt
En effet, le 11 août 2021, le peuple a vu sa cohésion nationale menacée lorsque des feux de forêt ont transformé le pays en un immense brasier. C’est à cette occasion que fut assassiné le jeune Djamel Bensmail, soupçonné, à tort, d’être l’auteur des incendies. Ce sinistre de grande ampleur a également donné lieu à un véritable ouragan politique d'accusations etd'inquisitions ainsi qu’au classement d'un mouvement d'autonomie en organisation terroriste.
Les gigantesques incendies, qui avaient débuté le 9 août, ont détruit des dizaines de milliers d’hectares de forêts dans 26 wilayas – sur les 58 que compte l’Algérie. Ils ont causé la mort d’au moins 90 personnes, parmi lesquelles 33 militaires, selon les divers bilans présentés par les autorités locales et le ministère de la Défense. Les sinistres ont déclenché une vague de solidarité dans toute l’Algérie et dans la diaspora.
Rupture des relations diplomatiques avec le Maroc
En ce 25 août, alors que les Algériens étaient toujours sous le choc de ce désastre écologique qui a également touché la sphère politique, les autorités d'Alger ont annoncé la rupture des relations diplomatiques avec le Maroc.
Les raisons de la dégradation des relations algéro-marocaines sont multiples. Alger considère comme une menace directe sur ses territoires la normalisation des relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv.
Les autorités algériennes avaient évoqué plusieurs raisons pour justifier la décision, mais l'affaire dite «Pegasus» a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase: le Maroc a eu recours, selon Alger, au logiciel israélien Pegasus pour espionner «des responsables et citoyens algériens» au mois de juillet. L’Algérie y a vu des manœuvres destinées à la déstabiliser, soulignant notamment le fait que Rabat a ouvertement soutenu le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK). Cette organisation avait été classée terroriste quelques mois auparavant, le 18 mai.
Alger a surenchéri le 22 septembre: il a annoncé la fermeture immédiate de son espace aérien à tous les avions civils et militaires marocains, ainsi qu’à tous ceux qui sont immatriculés dans le royaume chérifien.
Un Hirak suspendu
Les Algériens ont connu en 2021 quelques hauts et beaucoup de bas, après une année 2020qui fut marquée, comme dans les autres pays du monde, par le blocus ainsi que par la stagnation politique et économique. Les Algériens ont vu dans l'arrivée des vaccins une lueur d'espoir qui leur a permis, le 22 février, de sortir dans la rue pour manifester la célébration du«retour du Hirak», réaffirmant ainsi leur attachement à l'idéal de liberté et s’attachant à rappeler que le principe du Hirak est toujours vivant.
Le pouvoir n’est pas sur la même longueur d’onde, lui qui déclarait le 9 mai 2021, par la bouche du chef de l'État, déterminé à en finir avec le mouvement populaire, la fin des manifestations. En effet, les marches ne sont plus tolérées à Alger sans la présentation au préalable d'une demande dûment motivée et qui comprenne notamment l'itinéraire que comptent emprunter les contestataires.
Décès de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika
L’ancien président Bouteflika est mort vendredi 17 septembre à l'âge de 84 ans dans sa résidence médicalisée de Zéralda, à l'ouest d'Alger, sans «rendre de comptes». L’hommed'État est resté au pouvoir en Algérie de 1999 à 2019 – un temps record de quatre mandats – avant d'en être chassé après des manifestations massives, malgré sa volonté de briguer un nouveau quinquennat. Sous la pression de l'armée et de la rue, qui ont pris la forme d’un mouvement de contestation populaire inédit, le Hirak, Bouteflika a été contraint de quitter leposte qu'il occupait toujours malgré sa maladie. Un deuil de trois jours a été décrété et des funérailles discrètes ont été organisées.
Pénurie d’oxygène médical
La situation sanitaire a également été désastreuse pour les Algériens, qui ont vécu un été difficile à cause de la flambée des cas de contamination de la troisième vague. Cette dernièrea secoué le système sanitaire, de l'aveu même des responsables. Avec plus de 1 000 cas par jour, des centaines d'Algériens impuissants ont vu des membres de leurs familles périr dans des conditions lamentables en raison de la mauvaise gestion de ce que la presse locale a appelé la «crise d'oxygène», au mois de juillet et d'août. De leur côté, les autorités publiques ont misé sur la campagne de vaccination, et surtout sur la production locale des vaccins russe et chinois. En septembre dernier, la première usine de production a été inaugurée pour «gagner en autonomie et en sécurité sanitaire».
Les tensions avec la France
À l’heure où le peuple algérien renoue sans relâche avec le message révolutionnaire du 1er novembre 1954, le passé colonial continue de générer des tensions et des incompréhensions entre Alger et Paris.
L'année 2021 aura été trop chargée pour les deux pays: la crise est apparue vers la fin du mois de septembre lorsque la France a durci les conditions d’octroi des visas aux ressortissants algériens. Une décision qui ne fut pas du tout du goût de l’Algérie.
Peu de temps après, le journal Le Monde a publié un article dans lequel il rapporte le «dialogue inédit» entre Emmanuel Macron et les petits-enfants de harkis. Il affirme que l’Algérie s’est construite après son indépendance, en 1962, sur «une rente mémorielle» entretenue par «le système politico-militaire».
L’Algérie réagit immédiatement. Elle exprime dans un communiqué son «rejet de toute ingérence dans ses affaires intérieures» et qualifie la situation «engendrée par ces propos irresponsables» de «particulièrement inadmissible». Ces déclarations sur la politique intérieure de l’Algérie ont particulièrement dégradé les relations franco-algériennes, compliquant davantage la situation au point de mettre en péril la résolution d’un conflit historique.
À la fin du mois de décembre, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, arrive à Alger. Cette visite intervient le mercredi 8 décembre après plusieurs semaines de rupture diplomatique entre Paris et Alger. Elle se veut un appel à «une relation apaisée».
Paris ouvre les archives judiciaires françaises relatives à la guerre d’Algérie avec quinze ans d’avance sur le calendrier légal. Une décision saluée par les historiens de l'Hexagone, et vue par Alger comme une énième manipulation, même si les historiens algériens ne cessent d'appeler les autorités à simplifier l’accès aux archives nationales, considérées par beaucoup d'observateurs comme «une bombe à retardement».
La démarche mémorielle d’Emmanuel Macron apparaît comme une arme à double tranchant ou, du moins, comme un écran de fumée.