L'absence de perspectives politiques favorise l'instabilité en Palestine

Des partisans palestiniens du Hamas se rassemblent pour protester contre Israël dans le nord de la bande de Gaza. (Reuters/Archive)
Des partisans palestiniens du Hamas se rassemblent pour protester contre Israël dans le nord de la bande de Gaza. (Reuters/Archive)
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Publié le Vendredi 17 décembre 2021

L'absence de perspectives politiques favorise l'instabilité en Palestine

L'absence de perspectives politiques favorise l'instabilité en Palestine
  • En Cisjordanie, des affrontements ont lieu tous les jours; des Palestiniens sont blessés et tués dans des proportions de plus en plus grandes.
  • La déception et la colère des Palestiniens sont encore plus vives lorsque ces derniers voient les capitales arabes accueillir les dirigeants israéliens au lieu de les punir politiquement

Aucune perspective politique ne s'offre aux Palestiniens depuis la fin du mois d’août. Le président américain, Joe Biden, avait alors reçu à la Maison Blanche le Premier ministre israélien, Naftali Bennett. Ce dernier lui a annoncé sans ambages qu'il ne comptait pas négocier avec les Palestiniens ni rencontrer leur dirigeant et qu'il n'envisagerait en aucun cas la solution à deux États soutenue par la communauté internationale.

Bennett ne s'est pas contenté d'exprimer son opinion à Biden en tête à tête. Il s'en est ensuite targué devant la communauté juive des États-Unis, adoptant ainsi la position des dirigeants arabes qui, en septembre 1967, avaient proclamé les trois «non»: pas de reconnaissance d'Israël, pas de négociations avec Israël et pas de paix avec Israël.

Mais à la différence de la riposte qui avait été faite aux «non» des Arabes, bien peu de choses se sont produites pour répondre à l'intransigeance d'Israël et à son refus public de s'engager dans un processus politique, ne serait-ce que pour la forme. Certains défendraient probablement Bennett en arguant qu’il est vraiment sérieux dans son opposition à la paix, contrairement à Benjamin Netanyahou, qui, lui, défendait la paix mais agissait de manière tout à fait contradictoire.

Cette absence de perspectives politiques se fait sentir en Cisjordanie de manière concrète. Des affrontements ont lieu tous les jours; des Palestiniens sont blessés et tués dans des proportions de plus en plus grandes. Selon les chiffres du Bureau des nations unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires occupés, 68 Palestiniens ont été tués par les forces israéliennes en Cisjordanie à la mi-novembre 2021, contre 24 en 2020 et 27 en 2019. Le bilan des blessés est plus alarmant encore: 13 857 en 2021, contre 2 558 en 2020 et 3 479 en 2019.

Ces chiffres sont révélateurs d'une situation critique qui continuera à se détériorer tant que les Palestiniens se trouveront dans l'impasse sans qu’une feuille de route ne mette un terme à la triste occupation qui les opprime depuis plusieurs décennies.

La déception et la colère des Palestiniens sont encore plus vives lorsque ces derniers voient les capitales arabes accueillir les dirigeants israéliens au lieu de les punir politiquement en raison de leur comportement et de leur intransigeance en matière de négociations.

Les États-Unis et les responsables israéliens ont été contraints de chercher des moyens pour atténuer les répercussions négatives de l'instabilité qui règne en Cisjordanie. Alors que les occupants israéliens et leurs mécènes américains s'efforcent de se tirer d'affaire, Israël a cruellement besoin d'une seule chose: la coopération des Palestiniens en matière de sécurité.

Cette situation critique continuera à se détériorer tant que les Palestiniens se trouveront dans l'impasse sans qu’une feuille de route ne mette un terme à la triste occupation qui les opprime depuis plusieurs décennies.

Daoud Kuttab

Certes, l'idée de supprimer entièrement la coordination en matière de sécurité est inconcevable à la lumière de la vulnérabilité des dirigeants palestiniens. Mais il est évident que les Palestiniens sont peu enclins à protéger Israël contre les attaques de la résistance palestinienne, qui poursuivra très probablement ses activités. Ces dernières seront cependant surveillées de près et le président Mahmoud Abbas empêchera tout acte de violence significatif et, dans le même temps, encouragera les Palestiniens à intensifier leurs protestations populaires non violentes.

En cherchant à reconquérir le soutien de la population – qu'elle a perdu après la suppression des élections législatives prévues au mois d'avril –, l'Autorité palestinienne s'efforce de prouver à l'opinion publique qu'elle n'est pas une marionnette que les Israéliens manipuleraient. Par ailleurs, les forces de sécurité palestiniennes sont de moins en moins disposées à affronter ou à arrêter les manifestants palestiniens.

La coopération en matière de renseignement, qui représente à ce jour une composante essentielle de la coordination sécuritaire, demeure insuffisante dans la mesure où Israël ne prend aucune mesure pour encourager Ramallah à communiquer les précieuses informations qu’il détient au sujet des occupants israéliens provocateurs.

Les élections qui se sont tenues récemment dans les territoires placés sous le contrôle total d'Israël (zone C) ont donné un petit coup de pouce au mouvement Fatah grâce à la victoire de ses adhérents ou des chefs tribaux qui lui sont affiliés. Les élections dans les grandes villes sont prévues au mois de mars 2022; on ignore si les dirigeants du Hamas consentiront à les tenir à Gaza.

L'impasse dans laquelle se trouvent aujourd'hui les dirigeants palestiniens les met dans l'embarras. Ils ne peuvent pas rallier le soutien de l'opinion publique en se présentant comme des négociateurs fermes avec Israël, puisque ce dernier ne cherche guère à négocier avec eux ni à les rencontrer. Il en va de même pour l'administration Biden, qui avait promis de rouvrir le consulat américain à Jérusalem et d'autoriser la réouverture du bureau de l'Organisation de libération de la Palestine à Washington, sans pour autant honorer la promesse qu'elle avait faite au moment de l’élection.

En effet, l'administration Biden a essayé de gagner du temps, à la fois pour empêcher l'effondrement du gouvernement de coalition de Bennett et pour s'assurer que le budget annuel serait approuvé. Les États-Unis, qui sont désormais engagés dans des négociations délicates avec l'Iran, doivent s’efforcer d’éviter la colère des Israéliens, qui s'opposent à un retour à l'accord sur le nucléaire.

Les Palestiniens seront encore plus frustrés dans les mois à venir si l'impasse actuelle se prolonge et si une solution politique ne s'offre pas à eux. Il est inutile de mettre en œuvre un processus factice. Toutefois, si les différentes parties tiennent à garantir une certaine stabilité, il leur incombe de se montrer plus sensibles aux malheurs des Palestiniens, privés de toute perspective politique.

 

Daoud Kuttab, ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton, est le fondateur et l'ancien directeur de l'Institut des médias modernes à l'université Al-Qods de Ramallah. Droits d'auteur : Project Syndicate

Twitter : @daoudkuttab

 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com