Cela fait plus de six mois qu'Israël a cessé de pilonner Gaza et que le Hamas a renoncé aux attaques à la roquette. On a assisté à la cinquième guerre du siècle contre Gaza, qui a débouché sur toutes sortes de promesses et d'engagements en faveur d'un retour au calme, de la résolution des problèmes de fond et de la reconstruction de Gaza. Mais ces promesses ont-elles été tenues – et qu'avons-nous appris depuis sur la nature des événements qui se sont produits?
On a rarement vu la communauté internationale se désintéresser aussi rapidement de ce conflit. Quelques jours ont suffi pour que les ministres des Affaires étrangères retirent leurs messages pieux sur Gaza; ils n'ont pas attendu des semaines pour le faire. L'aide des donateurs s'est évaporée, ou presque. L'Unrwa (l’Office de secours et de travaux des nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, NDLR) ne pourra probablement pas payer les salaires au mois de décembre.
Comme à l'accoutumée, si le calme est rétabli, il ne profite qu'à une seule partie et à un seul peuple. En Israël, cafés, bars et boîtes de nuit n'ont pas tardé à se remplir de clients, les plages de Tel-Aviv grouillaient de monde et les Israéliens ont pris l'avion pour passer leurs vacances annuelles à l'étranger.
Et les Palestiniens de Gaza, où passent-ils leurs vacances? Les enfants de la Palestine ignorent tout du mot «vacances». La plupart d'entre eux n'ont jamais quitté cet enfer. Les passeports, ils n'en ont pas besoin. Les seuls avions qu'ils croisent sont ceux qui se dirigent vers eux pour les bombarder. Certes, ils peuvent aller à la plage. Mais qui voudrait se baigner dans la mer de Gaza, où 80 millions de litres d'eaux usées et insuffisamment traitées sont déversés chaque année? Les Israéliens rentrent chaque soir chez eux. En contrepartie, 56 000 propriétés, à Gaza, attendent d'être reconstruites depuis le mois de mai, d’après les chiffres des Nations unies. Les pluies d'hiver ont inondé un grand nombre de ces maisons, et bien d'autres encore.
Au cours de ces onze jours de conflit, Israël a prétendu que ses forces procédaient à des frappes ciblées qui visaient l'infrastructure militaire du Hamas, et rien d'autre. À l'époque, les indices relevés sur le terrain remettaient en question ces allégations. Les six mois qui ont suivi ont permis de recueillir davantage de preuves qui réfutent la thèse d'Israël.
Le bombardement par Israël de la tour Al-Jalaa, où se trouvaient les bureaux de l'Associated Press (AP) et d'Al Jazeera, a marqué un tournant. Cette attaque a suscité une vague d'indignation. Cependant, Israël s'est obstiné à prétendre que le Hamas menait ses opérations à partir de cette tour. Au mois de novembre, des rapports israéliens ont toutefois révélé que cette frappe n'était pas justifiée et que les responsables israéliens sont allés jusqu'à falsifier les preuves transmises aux États-Unis.
L'ONG Airwars a comparé les frappes israéliennes menées en Syrie à celles qui sont survenues à Gaza au mois de mai. Elle a constaté que le nombre de civils tués en onze jours de bombardements à Gaza était dix fois supérieur au nombre de civils tués au cours des huit années d'opérations israéliennes en Syrie. Cela met en évidence la disparité des objectifs poursuivis par les deux offensives.
Israël continue de renforcer le blocus de Gaza instauré il y a quatorze ans au lieu d'y mettre fin, ou du moins de l'alléger.
Chris Doyle
Dans le cas de la Syrie, Israël a cherché, à travers ses offensives, à endiguer le déploiement militaire et le développement de missiles de la part de l'Iran et à bloquer le trafic d'armes à destination du Hezbollah. À Gaza, il poursuivait un objectif préventif légitime – qui consistait à stopper les tirs de roquettes et de mortiers sur son territoire – mais, comme dans les guerres précédentes, son ciblage étendu atteste du caractère punitif et dissuasif de sa stratégie.
Pour qui y prête un tant soit peu attention, la stratégie d'Israël est tout à fait manifeste. L'ancienne ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, a déclaré à propos d'un pilonnage de Gaza de 2009: «Nous avons prouvé au Hamas que nous avons changé les règles du jeu. Israël réagit sans retenue lorsque vous tirez sur ses citoyens – et c'est une bonne chose.»
Le fait de se déchaîner reste au menu, et le fait est que les forces israéliennes se déchaînent un peu plus à chaque fois.
Les plus grands acteurs de la scène internationale – il est inutile de faire croire qu'une communauté internationale existe réellement – n'ont même pas fait semblant de réclamer une enquête indépendante digne de ce nom comme ils l'avaient fait, entre autres, au lendemain des événements de 2009. Une fois de plus, Israël sait qu'il ne sera jamais tenu responsable de ses actes dans le futur proche.
Israël et l'Égypte ont entamé des discussions sur la reconstruction de la bande de Gaza. Cette démarche s'inscrit dans la lignée de la stratégie qui a pour but de «contenir le conflit». Le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a présenté son plan aux autorités égyptiennes; il a prétendu qu'il proposait une «économie en échange de la sécurité». À ce jour, le gouvernement israélien n'a pas adhéré à cette initiative de manière officielle. Pourtant, il incombe aux responsables égyptiens de comprendre que l'objectif à long terme d'Israël est de leur faire porter la responsabilité de Gaza. Même si Israël a entrepris la reconstruction de ce territoire, ces efforts ne changeront pas grand-chose.
Les détails ne sont pas encore révélés. Toutefois, il ne suffit pas de remanier le blocus israélo-égyptien en espérant obtenir un miracle: il faut libérer Gaza et permettre à son peuple de respirer. Gaza ne sera pas économiquement viable si les échanges commerciaux ne sont pas autorisés. Il faut, au minimum, lever le blocus. Le cessez-le-feu feutré qui se prolonge ne fait que servir les intérêts de l'extrême droite israélienne et ceux du Hamas. Ni l'un ni l'autre ne souhaitent assumer les conséquences qui découlent des négociations et des concessions qu'ils ne feront jamais. Le cessez-le-feu ne résout pas la crise.
Israël continue de renforcer le blocus de Gaza instauré il y a quatorze ans au lieu d'y mettre fin ou, du moins, de l'alléger. Au bout de plus de trois années, Israël a installé une nouvelle barrière autour de Gaza. Cette nouvelle version high-tech s'étend sur 65 kilomètres. Elle est équipée de capteurs à distance, de caméras, d'un mur souterrain et d'une barrière maritime. C'est en 1994 qu'Israël a érigé la première barrière. En fortifiant davantage les murs de la prison, les Israéliens obtiendront un semblant de sécurité additionnelle. Les roquettes et les mortiers continueront à survoler ces barrières. Les bombes tomberont en trombe de l'autre côté du mur.
Toutes les circonstances laissent entrevoir une nouvelle confrontation. Cette dernière ne se produira pas forcément en 2022, mais il faut s'y attendre dans un an ou deux. L'une ou l'autre des parties souhaitera un jour relancer le conflit. Les dirigeants israéliens se sentiront obligés de tondre à nouveau la pelouse – c’est de cette manière que les stratégistes israéliens se plaisent à désigner leurs raids. Le Hamas voudra sans doute démontrer sa capacité à lancer des roquettes sur des civils israéliens et prouver qu'il n'a pas disparu de la scène. Ses dirigeants, dont beaucoup ne vivent pas dans la bande de Gaza, se soucient peu du bien-être des deux millions de Palestiniens qui vivent sous la domination israélienne et qui sont contraints de se frayer un chemin dans les décombres à la recherche de corps ou de subir un traumatisme qui refuse de se dissiper.
Les réalisations que le Hamas croit obtenir en agissant de la sorte restent inconnues. Les dirigeants israéliens qui prônent le maintien du blocus éternel de Gaza sont contents, alors que ceux qui seraient prêts à assouplir ou à lever ce blocus sont peu encouragés à le faire.
Les grands acteurs internationaux sortiront-ils de leur torpeur? Les prix à payer sont faramineux. Les donateurs internationaux financent le blocus en y consacrant des millions de dollars. Mieux vaut faire preuve de plus d'ambition que de prier pour que la situation ne se détériore pas à nouveau.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu), situé à Londres.
Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.