ANKARA: La Turquie est sur un chemin « risqué mais juste » pour l'économie, a affirmé mercredi le président turc Recep Tayyip Erdogan, défendant sa position controversée d'abaisser les taux directeurs malgré la dégringolade de la livre turque et l'inflation galopante.
« Ce que nous faisons est juste. Nous avons suivi et nous suivons un plan politiquement risqué mais juste », a déclaré M. Erdogan devant les députés de son parti au Parlement.
La banque centrale turque avait annoncé peu avant intervenir pour stopper la chute de la livre turque, qui a perdu près de 30% de sa valeur face au dollar en un mois. Mardi, la monnaie avait chuté de près de 6% face au billet vert.
« Le monde entier sait que je suis contre les taux d'intérêt (élevés). Je n'ai jamais été pour. Je ne l'étais pas hier et je ne le serai pas demain », a dit le président turc, insistant sur le caractère définitif de sa décision d'abaisser les taux d'intérêts.
À rebours des théories économiques classiques, le président Erdogan estime que les taux d'intérêts élevés favorisent l'inflation. Il affirme ainsi soutenir la production et les exportations en baissant les taux.
Conformément au souhait du président, la banque centrale turque – officiellement indépendante – a ainsi abaissé de nouveau son taux directeur en novembre (de 16 à 15%) pour la troisième fois en moins de deux mois, alors que l'inflation frôle les 20% sur un an, un taux quatre fois supérieur à l'objectif initial du gouvernement.
Croissance à tout prix
A dix-huit mois de la prochaine élection présidentielle prévue, le président Erdogan semble privilégier la croissance à tout prix, au risque de réduire encore le pouvoir d'achat de ménages déjà sonnés par la hausse de certains produits de base.
L'économie turque a enregistré une croissance de 7,4% sur un an au troisième trimestre de 2021, selon les chiffres officiels publiés mardi. Selon la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), l'économie turque pourrait atteindre une croissance de 9% en 2021 et 3,5% en 2022.
Mais des experts s'inquiètent des conséquences de cette course à la croissance sur la valeur de la livre turque, et mettent en garde contre la fonte des réserves de devises du pays.
Lors d'une précédente crise en 2018, la banque centrale turque avait, selon l'opposition, pioché 128 milliards de dollars dans ses réserves pour soutenir la livre. Si le montant des réserves utilisées par la banque centrale mercredi reste inconnu, des observateurs s'interrogent sur les risques de l'opération.
Dans une note envoyée avant l'intervention de la banque centrale mercredi matin, l'économiste Timothy Ash avait mentionné son inquiétude quant à une éventuelle décision de contrôle des capitaux.
« Si les gens pensent qu'un contrôle des capitaux pourrait s'imposer, la prochaine étape sera une ruée bancaire. Nous n'en sommes pas là, mais au moindre signal d'un contrôle des capitaux, ce risque sera accru », a-t-il ajouté.
20% d'inflation
La livre turque a perdu plus de 40% de sa valeur face au dollar depuis le début de l'année, renchérissant les importations, dont la Turquie est très dépendante, notamment pour l'énergie et les matières premières.
Le taux d'inflation pour novembre, qui sera rendu public vendredi, pourrait ainsi être supérieur à 20%, selon certains experts, fragilisant le quotidien de nombreux Turcs. Parmi les parmi de l'OCDE, seule l'Argentine connaît une inflation plus élevée.
Le chef de l'Etat turc a cependant minimisé les conséquences de sa politique, les jugeant temporaires.
« Le taux de change peut être à la hausse aujourd'hui mais en baisse demain. L'inflation peut monter aujourd'hui et chuter demain », a-t-il estimé. Il a cependant dit « surveiller attentivement » les fluctuations de la monnaie et la hausse des prix. « Nous savons ce que nous faisons. (...) C'est notre job », a-t-il affirmé.