Le monde arabe et l'ordre mondial dans le débat stratégique d'Abu Dhabi

Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en compagnie du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed, à Abou Dabi le 14 novembre 2019 (Photo, AFP)
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en compagnie du prince héritier d’Abou Dabi Mohammed ben Zayed, à Abou Dabi le 14 novembre 2019 (Photo, AFP)
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Publié le Lundi 22 novembre 2021

Le monde arabe et l'ordre mondial dans le débat stratégique d'Abu Dhabi

Le monde arabe et l'ordre mondial dans le débat stratégique d'Abu Dhabi
  • La Chine a renoué avec son rôle de puissance asiatique qui a été le sien jusqu'au début de l’ère moderne
  • Dans le monde arabe, les conflits latents risquent à tout moment de dégénérer en véritables situations de violence non maîtrisées

Le forum stratégique d'Abu Dhabi vient de clôturer la session de son débat annuel, traditionnellement consacré comme aux enjeux régionaux et internationaux actuels. Trois thèmes principaux ont accaparé l'intérêt des participants: les rivalités géopolitiques entre les États-Unis d'Amérique et la Chine et leurs impacts sur les relations internationales, la nouvelle question d’Orient – avec les dernières transformations internes de l’Iran, de la Turquie et de l’Afghanistan, ainsi que les conflits de compétition en Méditerranée orientale –, et l'avenir de l'islam politique dans le nouvel environnement régional issu de la dynamique des «Printemps arabes».

Le premier thème a suscité un débat passionné entre les tenants de la théorie de la «nouvelle guerre froide» dans l'espace indopacifique et les adeptes du paradigme de la «suprématie américaine». Si un large consensus a émergé au sujet du poids grandissant de la Chine dans l'échiquier international, les divergences se sont révélées profondes quant au statut de «l'empire du Milieu» dans les équilibres géopolitiques mondiaux.

La Chine a renoué avec son rôle de puissance asiatique qui a été le sien jusqu'au début de l’ère moderne. Elle affiche, à l’évidence, une visée d'expansion et d'influence dans les zones névralgiques du monde; mais elle ne possède aucune culture hégémonique et elle ne revendique pas le statut de superpuissance, à l'image de la Russie soviétique communiste. En effet, le modèle politique du communisme chinois s’apparente moins à une option idéologique à caractère universel qu'à une modalité de gouvernance qui relève de la vieille tradition confucéenne de l'aristocratie mandarine, au pouvoir en Chine depuis la nuit des temps.

Le véritable enjeu des rivalités sino-américaines réside dans une confrontation au cœur de la mondialisation, et non dans les contradictions entre deux systèmes sociaux ou économiques antinomiques. Ces rivalités se cristallisent de nos jours sur le contrôle et la maîtrise des nouvelles technologies qui sont à l'œuvre dans la dynamique de la mondialisation: la révolution numérique et spatiale, l'intelligence artificielle et les nouvelles énergies renouvelables.
La formule qui pourrait résumer la situation actuelle du duel géopolitique sino-américain est celle de la «dépendance compétitive», qui désigne le double aspect de rivalité et de complémentarité entre les deux puissances les plus avancées du monde.


La nouvelle question d'Orient se décline en trois faits saillants: le retrait américain controversé de l'Afghanistan, l'enlisement des négociations en cours entre l'Iran et les pays occidentaux sur le dossier nucléaire iranien, la régression de la Turquie dans son espace méditerranéen et balkanique, concomitante avec la nouvelle ligne d'apaisement miroitée par les autorités d'Ankara.
Ces trois faits indiquent l'accroissement du cycle de crises aiguës qui frappe le grand Moyen-Orient depuis quelques années.


La «New Levant Initiative» («Projet du nouveau Levant», NDLR) proposée par le Premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi, qui consistait, à l’origine, en un partenariat solide et multiforme entre l'Égypte, l'Irak et la Jordanie, devait aboutir à une nouvelle donne d'harmonie et de concorde dans toute la région du Moyen-Orient.

Force est de reconnaître aujourd'hui que ce projet a essuyé un revers cinglant, en raison des politiques belliqueuses iraniennes et des stratégies flottantes turques, au-delà des déboires subis des interventions américaines.


Le monde arabe, pris en tenaille par ces forces internationales et régionales dont les stratégies et les visées sont disparates, peine à fixer une opportunité de sortie de crise efficace dans une conjoncture constamment critique.
Malgré les divers actes d'apaisement et de détente enregistrés depuis le début de l'année en cours dans l'espace moyen-oriental, la paix et la stabilité demeurent fragiles dans la région; les conflits latents risquent à tout moment de dégénérer en véritables situations de violence non maîtrisées.


Un haut responsable américain, interpellé lors du forum d'Abu Dhabi sur l'échec des stratégies d'intervention militaire et humanitaire dans la région, reconnaît implicitement que son pays a perdu tout espoir pour remodeler le grand Moyen-Orient, ce qui a longtemps été son obsession. Il se demande si le modèle américain est transposable hors de son contexte originel et si le monde arabo-musulman est réformable. Il se pourrait même, selon lui, que la politique d'expansion économique et commerciale de la Chine soit plus appropriée dans cette région du monde que le messianisme libéral occidental, qui n'a eu aucun effet notoire dans la résolution des problèmes et des crises du monde arabo-musulman.

 

Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott,Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.

TWITTER: @seyidbah

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.