KHARTOUM: Au Soudan dans l'impasse depuis le coup d'Etat militaire, diplomates, hommes d'affaires, universitaires ou encore journalistes tentent de jouer les médiateurs, sans grand succès jusqu'ici avec de nombreux dirigeants civils toujours détenus.
"On a rencontré tous les acteurs militaires et civils et tous ont donné leur accord préliminaire pour des discussions", affirme l'un de ces négociateurs, qui accepte de parler à condition que son identité ne soit pas dévoilée.
"Mais il y a encore des obstacles", nuance-t-il aussitôt alors que de nombreuses voix dans le camp civil ont posé plusieurs conditions sine qua none à tout dialogue.
Les Forces de la liberté et du changement (FLC), le principal bloc civil né de la révolte populaire qui a déposé Omar el-Béchir en 2019, "refusent toute discussion tant que les détenus ne sont pas libérés et que la feuille de route partageant la transition entre civils et militaires n'est pas reprise comme base", explique ce négociateur.
«Dialogue exhaustif»
En 2019, l'union sacrée du peuple et de l'armée mettait un point final à trente années de dictature Béchir. Civils et militaires formaient ensemble des autorités de transition et promettaient des élections libres à l'horizon 2023.
Le général Abdel Fattah al-Burhane prenait la tête du Conseil de souveraineté et le technocrate Abdallah Hamdok celle du gouvernement.
Mais lundi 25 octobre, au petit matin, le premier faisait arrêter le second avant de décréter l'état d'urgence et de dissoudre l'ensemble des institutions du pays.
Depuis, le général Burhane a promis un gouvernement pour cette semaine alors que les rares ministres en liberté et M. Hamdok, en résidence surveillée, assurent qu'ils resteront le seul gouvernement légitime.
Arrivés en voisins --aux intérêts cruciaux sur la côte soudanaise, seul point d'exportation de leur pétrole--, des responsables sud-soudanais sont à Khartoum depuis dimanche.
"Nous essayons d'amener toutes les parties à un dialogue exhaustif pour parvenir à un accord", affirme à l'AFP Tut Gatluak, conseiller du président du Soudan du Sud.
Lundi, lors d'une visioconférence destinée à la presse aux Nations unies à New York, l'émissaire de l'ONU à Khartoum Volker Perthes a fait état de "médiations" au Soudan et au-delà.
Il a mentionné "beaucoup de nos interlocuteurs à Khartoum, mais aussi aux niveaux international et régional", affirmant être en contact avec "des Soudanais issus de l'ensemble du spectre politique".
«Pas du premier coup»
Au niveau continental, les dirigeants des FLC disent avoir rencontré lundi l'ambassadeur de l'Union africaine (UA) --qui a suspendu Khartoum deux jours après le coup d'Etat-- en prévision de la visite mercredi d'une délégation du Conseil de paix et de sécurité de l'UA.
A ce diplomate, les FLC ont déjà posé leurs conditions. "On lui a dit que la libération des détenus et le retour au partage du pouvoir était un prérequis: ce n'est même pas une condition, c'est tout simplement notre droit", martèle Kamal Ismaïl, un des leaders des FLC.
D'autres médiateurs soudanais de haut rang ont rencontré le général Burhane par deux fois cette semaine pour porter les doléances des FLC.
"Il les a écoutées et a affirmé les prendre en considération", a indiqué l'un de ces médiateurs à l'AFP, sous couvert de l'anonymat.
"On ne s'attend pas à ce que les militaires tiennent compte de ces demandes du premier coup", convient-il, "car il y a des difficultés à surmonter en raison des tensions et de la crise de confiance actuelle".
Pour l'émissaire des Etats-Unis Jeffrey Feltman, retenu à Washington tant la situation se dégrade dans la Corne de l'Afrique, entre coup d'Etat au Soudan et progression de rebelles armés en Ethiopie voisine, cette confiance sera longue à retisser.
"Les civils ont été échaudés par leurs partenaires militaires le 25 octobre, donc ils réclament maintenant des garanties très solides pour renouer un partenariat", assure-t-il mardi à la presse.
Et surtout, ils sont sous la pression de la rue où les Soudanais sont sortis par dizaines de milliers à deux reprises en octobre pour dire oui à un pouvoir "100% civil", rejetant plus que jamais le partage du pouvoir avec l'armée dans un pays sous sa férule quasiment en continu depuis 65 ans.