KHARTOUM: Les Soudanais hostiles au coup d'Etat du général Abdel Fattah al-Burhane maintiennent dimanche les barricades à Khartoum, déterminés à tenir tête à l'armée alors qu'au moins une douzaine de manifestants ont été tués cette semaine dans des violences, selon des sources médicales.
Un syndicat des médecins prodémocratie, qui avait recensé au moins trois morts lors de la journée de samedi et une centaine de blessés, a également annoncé dimanche la mort de deux manifestants, âgés de 22 et 19 ans. Tous deux avaient reçu une balle dans la tête: l'un est mort lundi et l'autre a succombé de ses blessures tôt dimanche.
Au total, depuis l'entrée des Soudanais en "désobéissance civile" lundi, une douzaine de manifestants ont été tués par les forces de sécurité et près de 300 personnes ont été blessées, selon ce syndicat.
Samedi, des dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour s'élever contre la décision lundi du général Burhane --alors chef de l'armée et des autorités de transition-- de dissoudre toutes les institutions du pays déjà englué dans le marasme économique et miné par des décennies de conflits.
La police, qui a reconnu avoir tiré des grenades lacrymogènes dans la capitale, nie avoir tiré à balles réelles contre les manifestants.
Déploiement sécuritaire
A Khartoum et dans plusieurs provinces orientales, les Soudanais ont scandé "Non au régime militaire" et "Pas de retour en arrière possible", dans un pays sorti en 2019 de 30 années de dictature d'Omar el-Béchir, écarté par l'armée sous la pression de la rue.
Des manifestations ont également secoué les régions du Kordofan-Nord (ouest) et du Nil Blanc (sud), ont constaté des correspondants de l'AFP.
Après une nuit calme, les habitants de la capitale érigeaient dimanche matin de nouvelles barricades à l'aide de pierres, de briques et de pneus, tandis que des soldats et des paramilitaires des Forces de soutien rapide patrouillaient dans les rues.
Cette puissante force paramilitaire, dirigée par le numéro deux du général Burhane, est accusée d'avoir participé à la répression de la "révolution" de 2019 qui a fait plus de 250 morts.
Les forces de sécurité ont établi plusieurs postes de contrôle et fouillaient passants et voitures à Khartoum, où la plupart des magasins demeurent fermés, signe que la "grève générale" décrétée lundi par les syndicats est suivie par de larges franges de la société.
Les communications téléphoniques, coupées samedi, étaient globalement rétablies dimanche matin, tandis que le réseau internet restait lui largement inaccessible.
Depuis son indépendance en 1956, le Soudan, pays d'Afrique orientale parmi les plus pauvres du monde, n'a connu que de rares périodes de régime civil. M. Béchir, lui-même un militaire, était arrivé au pouvoir en 1989 par un putsch.
La communauté internationale a quasi unanimement condamné le coup d'Etat, exigeant le retour des autorités civiles au pouvoir, à commencer par le Premier ministre Abdallah Hamdok arrêté par l'armée lundi avant l'aube, comme la plupart des autres ministres et responsables civils.
«Médiation»
M. Hamdok a été escorté chez lui par l'armée mardi mais reste "assigné à résidence", selon l'émissaire de l'ONU au Soudan, Volker Perthes, qui a discuté dimanche avec le dirigeant renversé de possibles "médiations".
Le président des Etats-Unis Joe Biden a de son côté qualifié le coup d'Etat de "revers cinglant" pour le Soudan, tandis que l'Union africaine a suspendu Khartoum de l'organisation et le chef de l'ONU, Antonio Guterres, a exhorté à revenir aux "arrangements constitutionnels".
Exigeant le retour d'un pouvoir civil, Washington et la Banque mondiale ont chacun suspendu leur aide financière à Khartoum, vitale pour ce pays asphyxié par une inflation galopante et une pauvreté endémique.
Un responsable du ministère soudanais des Affaires étrangères a par ailleurs exprimé sa "déception" à l'ambassadeur du Royaume-Uni au Soudan après que ce dernier a publié une vidéo condamnant le coup d'Etat et appelant à la libération de "tous les détenus", a tweeté dimanche l'ambassade britannique.
Depuis août 2019, Khartoum était doté d'autorités militaro-civiles en charge de mener la transition vers un pouvoir entièrement civil, après le renversement en avril de la même année du dictateur Béchir.
Mais après plus de deux ans d'une délicate transition minée par les divisions entre et au sein des deux clans civil et militaire, l'entente a volé en éclats ces dernières semaines, culminant avec le putsch.