Le régime iranien continue d’avoir une très grande influence en Syrie. La région connaîtra-t-elle, sous la présidence d’Ebrahim Raïssi, des changements au niveau de la politique de l’Iran envers la Syrie? Quelles en sont les implications à l’échelle régionale?
En tant que partisan de la ligne dure, Raïssi a une vision idéologique et géopolitique de la Syrie. Plutôt que de s’intéresser à ce pays d’un point de vue humanitaire, il la perçoit comme un moyen pour préserver l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient. Sur le plan idéologique, l’un des principaux piliers de la politique étrangère de l’Iran est d’exporter sa révolution dans d’autres pays musulmans. Cette mission essentielle fait partie intégrante de la Constitution de la République islamique.
En conséquence, la Syrie, grâce au pouvoir alaouite, joue un rôle primordial dans le renforcement et l’exécution de cet objectif idéologique de politique étrangère.
Depuis qu’il a accédé au pouvoir, Raïssi n’a pas appelé à un changement radical dans la politique de l’Iran envers la Syrie, comme la réduction du soutien militaire et financier de Téhéran à Damas. En effet, pour les partisans de la ligne dure en Iran, le fait de retirer leur soutien à Bachar al-Assad compromettrait les principes révolutionnaires de Téhéran ainsi que son influence géopolitique dans la région, ce qui mettrait en danger la mainmise du régime sur le pouvoir.
En outre, en raison du rôle que joue le Guide suprême dans les objectifs de politique étrangère de l’Iran, Raïssi ne contrôle pas complètement les relations avec la Syrie; la politique de l’Iran est suivie de près par l’ayatollah Ali Khamenei, les hauts généraux du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) et Ettela'at, le service de renseignement iranien. Yahya Rahim Safavi, l’un des principaux assistants militaires du Guide suprême, a clairement déclaré récemment que l’Iran restera en Syrie, mais que les forces américaines devront partir.
Néanmoins, Raïssi possède la capacité de montrer des pistes au Guide suprême et au CGRI en ce qui concerne leur politique privilégiée vis-à-vis de la Syrie dans les milieux régionaux et internationaux.
Au cours de la dernière décennie, le régime iranien a dépensé environ 100 milliards de dollars [86 milliards d’euros] pour maintenir le gouvernement syrien au pouvoir.
Dr Majid Rafizadeh
Sous la direction de Raïssi, le régime iranien continuera d’accroître et de préserver son influence en Syrie. En effet, perdre la Syrie nuirait à l’Iran à plusieurs niveaux. Depuis que les dirigeants religieux sont arrivés au pouvoir en Iran, la Syrie est un mandataire clé de l’Iran. Le pays sert de plate-forme à Téhéran pour exercer un immense ascendant sur le Levant. Par exemple, l’influence iranienne en Syrie a donné à l’Iran la possibilité de renforcer l’autorité du Hezbollah et de soutenir le Hamas. L’Iran a utilisé la Syrie pour fournir des armes et du pétrole au Hezbollah. La mise en place de groupes mandataires dans l’ensemble du Levant a permis à l’Iran de renforcer son influence régionale et de la préserver. Sans la Syrie, l’Iran perd non seulement la flexibilité et les capacités qu’un gouvernement syrien amical apporte à ces groupes mandataires, mais aussi son influence géopolitique régionale.
De plus, les dirigeants iraniens considèrent que leur politique interventionniste en Syrie a été couronnée de succès. Par conséquent, il n’est pas nécessaire que Téhéran change de politique vis-à-vis de Damas. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, s’est récemment rendu en Syrie et il a salué les liens étroits qui unissent les deux pays. Il pense que la vision que la communauté internationale a du gouvernement syrien évolue dans le bon sens. Lors d’une réunion avec Bachar al-Assad, il a tenu les propos suivants: «Le climat diplomatique au cours des dernières réunions de l’Assemblée générale des nations unies montre que les conditions ont changé en faveur de la Syrie.»
Sans le régime iranien, il est peu probable que l’État alaouite de Bachar al-Assad survive à la guerre civile. Au cours de la dernière décennie, le régime iranien a dépensé environ cent milliards de dollars [86 milliards d’euros] dans le but de maintenir le gouvernement syrien au pouvoir. Le régime théocratique a perçu le conflit comme une possibilité d’accroître progressivement son influence en Syrie. Téhéran a d’abord placé des conseillers au service du gouvernement syrien avant de lui fournir un soutien technologique et financier ainsi qu’une aide en matière de renseignement. Par la suite, l’Iran s’est engagé à aider et à former les forces d’Al-Assad sur le plan militaire. L’Iran a envoyé des soldats de la force Al-Qods, l’unité d’élite du CGRI chargée de mener des opérations extraterritoriales. Lorsque le nombre de soldats s’est avéré insuffisant, les forces du CGRI ont combattu en Syrie. Téhéran a également sollicité l’aide de ses mandataires chiites, principalement le Hezbollah, pour prendre part à de grands combats aux côtés des forces d’Al-Assad. Lorsque le nombre de groupes d’opposition et de rebelles syriens a augmenté, Téhéran a embauché des combattants du Pakistan et de l'Afghanistan.
On le voit, sous la direction intransigeante du président Raïssi, le régime iranien est plus susceptible de renforcer son aventurisme militaire en Syrie, ce qui risque de déstabiliser la région encore davantage.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.