PARIS: Désinformation, complotisme et pseudo-sciences autour du Covid s'épanouissent aussi dans les librairies en France: de nombreux livres, pour certains des succès, véhiculent leur lot d'infox, conférant légitimité et crédibilité à ces théories.
Des internautes se sont récemment indignés que des ouvrages aux relents conspirationnistes soient placés en tête de gondole dans des magasins Fnac (distributeur français de produits culturels, ndlr) ou en haut des résultats de recherche sur les plateformes de vente en ligne.
Parmi eux, « Big Pharma Démasqué! », sorti au printemps 2021 (ed. Guy Trédaniel): quelque 14 000 exemplaires vendus, « un bon succès », selon l'éditeur.
Il figure parmi les meilleures ventes « Covid » à fin août, d'après le cabinet GfK, avec les succès de librairie des Pr Christian Perronne et Didier Raoult, figures médicales françaises controversées de la crise sanitaire.
Contrairement à ce qu'affirme l'auteur dès le début du livre, vitamine D, ivermectine ou hydroxychloroquine n'ont pas d'efficacité avérée contre la Covid, comme l'explique l'essentiel de la communauté scientifique depuis des mois.
Des théories relayées sur les réseaux sociaux et déclinées dans certaines émissions radio ou télé. Le tout créant alors une sorte de boucle auto-alimentée qui contribue à faire du complotisme un « discours ambiant », expliquent les experts interrogés par l'AFP.
« On a beaucoup mis l'accent sur l'influence des réseaux sociaux en oubliant que complotisme et désinformation se fabriquent sur internet mais sont importés de canaux plus traditionnels: des livres, mais aussi des conférences, des séminaires de formation, c'est tout un business », note Sebastian Dieguez, spécialiste du complotisme à l'Université de Fribourg (Suisse).
« Business »
Offert par un proche, conseillé par un libraire, le livre « donne un aspect de crédibilité aux thèses présentées » et « contribue à rendre le complotisme grand public, accessible à tous », relève Sylvain Delouvée, spécialiste du sujet à l'Université Rennes 2.
Le « complotisme, ça marche, ce n'est pas étonnant que les plateformes (de vente en ligne) les mettent en avant », ajoute l'universitaire, rappelant que le succès de tels ouvrages « n'est pas neuf », comme l'a montré en 2002 le livre à succès du Français Thierry Meyssan sur le 11 septembre.
Subsiste encore l'idée que « quand on écrit un livre, c'est sérieux, on se pare d'une posture d'autorité, ça n'a pas la même valeur qu'un post Facebook », renchérit l'historienne Marie Peltier, experte du sujet à la Haute Ecole Galilée de Bruxelles.
D'autant que, relève M. Dieguez, ces ouvrages « miment les livres académiques, avec des notes, des documents etc.. » et échappent largement au travail de vérification par des journalistes ou des scientifiques.
Si l'on cherche « Covid » sur Fnac.com, est proposé en tête « Enquête sur un virus » (Le Jardin des Livres, 7 000 exemplaires depuis mars), qui reprend lui aussi l'idée d'une pandémie orchestrée par les élites mondiales.
Il apparaît aussi dans les dix premiers résultats Amazon, aux cotés de « The Truth about Covid-19 », du Dr Joseph Mercola, considéré comme l'un des plus gros pourvoyeurs de désinformation anti-vaccinale sur internet.
Aux Etats-Unis, la sénatrice démocrate Elizabeth Warren a écrit en septembre à Amazon pour dénoncer la présence de cet ouvrage dans les meilleures ventes du site.
Algorithmes
Avec le mot-clé « vaccins », c'est « Les vaccins à l'heure de la Covid » (près de 8 000 exemplaires depuis avril, selon les éditions Kiwi) qui apparaît régulièrement en tête sur les plateformes: son auteur Michel de Lorgeril -ancien du CNRS (Centre national français de la recherche scientifique) - milite contre les vaccins depuis des années, relayant notamment l'idée fausse d'un lien avec l'autisme.
Du côté des plateformes comme des éditeurs, on plaide la liberté d'expression.
« La science peut aussi être sujette à controverse, notamment dans le traitement d'une nouvelle épidémie. Le Pr Didier Raoult est hautement qualifié pour s'exprimer sur le sujet », estime Elsa Lafon (éd. Michel Lafon), rejetant catégoriquement le terme de « désinformation » pour désigner le « travail » du chercheur marseillais (sud).
« Nous vendons les livres qui sont autorisés à la vente en France. Nous ne portons aucun jugement ni de censure sur les livres (...). C'est au lecteur de se faire son propre avis », explique-t-on chez Decitre, entreprise de librairies.
A la Fnac, on se défend de « toute prescription » volontaire de livres qui pourraient être taxés de complotistes, les ouvrages proposés en tête de résultats étant le fruit d'algorithmes mêlant « taux de clic, consultation des fiches produits et vente ».
Quant « aux coups de cœur libraires », l'enseigne indique « modérer » depuis septembre « tous les coups de cœur entrants sur les catégories sensibles » et certains peuvent être retirés.
Amazon renvoie à ses « directives », qui proscrivent la vente de certains livres (incitation à la haine, apologie ou promotion de la pédocriminalité, du viol, du terrorisme...).