Lorsque l’Arabie saoudite a interdit l’importation de produits libanais en avril parce que cette dernière favorise l’introduction illégale de stupéfiants dans le Royaume, le Hezbollah s’est retrouvé confronté à un véritable problème.
À la suite de l’effondrement des économies libanaise et syrienne, les mafieux de la famille Al-Assad et le Hezbollah ont transformé leurs pays en narco-États – des centres de production mondiaux pour le Captagon, une drogue à base d’amphétamines, dont raffolent les fêtards et les groupes terroristes. Le commerce syrien de Captagon est estimé à plus d’un milliard de dollars (865 millions d’euros) par an.
La production de Captagon s’est imposée dans des régions comme Homs et Alep, mais étant donné le dysfonctionnement extrême qui règne en Syrie, de nombreuses grandes usines ont été établies le long de la frontière libano-syrienne, en particulier dans les bastions du Hezbollah comme Quseir et la vallée de la Bekaa. L’ancien ministre libanais de la Justice et chef des Forces de sécurité intérieures, Achraf Rifi, évoque un «partenariat entre le Hezbollah et les Syriens en matière de fabrication et de contrebande» de Captagon. En outre, la Syrie et le Liban sont devenus des routes privilégiées pour l’héroïne, le crystal meth et le haschisch.
Depuis que la région du Conseil de coopération du Golfe (CCG) a imposé une interdiction d’expédition, le Hezbollah détourne ces envois illégaux par l’intermédiaire d’États de transit pour masquer le pays d’origine, exploitant une fois de plus ses liens avec la diaspora libanaise du monde entier. L’Afrique de l’Ouest est devenue une option privilégiée, avec 450 000 comprimés de Captagon découverts dans un port de Lagos grâce à la coopération saoudo-nigériane. Les autorités du CCG ont également découvert des millions de comprimés de Captagon dans des cargaisons de cacao d’Afrique de l’Ouest. La Syrie est fort probablement le point de production d’origine.
Ce n’est pas la première fois que le Hezbollah entraîne les communautés libanaises d’Afrique de l’Ouest dans le trafic de stupéfiants. Au cours des années 2000, le Hezbollah et l’Iran se sont retrouvés face à un problème de nature différente: grâce à l’ouverture du président, Mahmoud Ahmadinejad, aux pays d’Amérique latine, le Hezbollah récolte des milliards d’euros résultant de la vente de cocaïne, mais n’a aucun moyen de rapatrier ces fonds vers Beyrouth et Téhéran. Une idée ingénieuse lui vient alors à l’esprit: investir cet argent dans des dizaines de milliers de voitures américaines d’occasion qui sont ensuite expédiées au Bénin, où des centaines d’expatriés libanais s’imposent sur le marché automobile ouest-africain. Les recettes de ces ventes sont ensuite rapatriées au Liban.
«Dans un pays agonisant où tant de gens ont perdu la volonté de vivre, “Hizb al-Shaitan” (“le parti du diable”) a rendu les stupéfiants mortels plus abordables que le lait pour bébé.»
Baria Alamuddin
La Côte d’Ivoire compte une importante diaspora libanaise de 80 000 personnes qui contrôlent environ 50 % de l’économie, tandis que des agents mafieux affiliés au Hezbollah jouent un rôle majeur dans le commerce des stupéfiants. La Côte d’Ivoire est un point de transit majeur pour le blanchiment d’argent. De nombreux jeunes ont été arrêtés alors qu’ils tentaient de ramener au Liban des valises contenant des millions d’euros. D’autres pays d’Afrique de l’Ouest comme la Guinée, le Togo, le Congo, la Guinée-Bissau et la Sierra Leone ont joué un rôle central dans les activités du Hezbollah, notamment le blanchiment d’argent, la prolifération des armes, la drogue et le crime organisé.
Une estimation de 2021 suggère que cette activité rapporte au groupe près d’un milliard de dollars (865 millions d’euros) par an, approximativement la même somme que celle reçue par le Hezbollah de la part de l’Iran en matière d’allocations. Avec un commerce mondial annuel de stupéfiants d’une valeur de quelque 500 milliards de dollars (433 milliards d’euros), il pourrait s’agir d’une sous-estimation flagrante. L’économie libanaise poursuit son effondrement impitoyable. Bientôt, cette économie clandestine du Hezbollah pourrait dominer les marchés libanais, avec le risque que le pays devienne définitivement un narco-État.
L’Iran et le Hezbollah sont, quant à eux, impliqués dans des expéditions d’armes d’une valeur de plusieurs millions d’euros au Yémen, en Afrique, en Irak et dans une multitude d’autres pays ravagés par la guerre. Le trafic de stupéfiants est utilisé pour financer le terrorisme et les actions paramilitaires. Pourtant, je constate un remarquable manque de curiosité à ce sujet parmi les diplomates et les journalistes.
Ces agissements surviennent au moment où Téhéran recourt à la violence à sa frontière nord dans la région du Caucase. Après une succession d’assassinats de spécialistes du nucléaire et d’explosions «mystérieuses» sur des sites iraniens sensibles, Téhéran voit des agents du Mossad en tous lieux. Les ayatollahs font preuve d’une intense paranoïa lorsqu’il est question des relations de défense étroites entre l’Azerbaïdjan et Israël, et ils ont récemment initié des manœuvres militaires provocatrices au niveau de leurs frontières communes. Ils ont longtemps craint que Bakou ne suscite de sentiments séparatistes au sein de la grande population azérie du nord de l’Iran.
Les conséquences de l’interdiction par le Hezbollah d’exporter des produits agricoles libanais vers les principaux marchés régionaux sont désastreuses et détruiront la vie des agriculteurs qui, comme la plupart des citoyens, souffrent de la désintégration économique et de la dépréciation record de la livre libanaise. En Afghanistan, les agriculteurs appauvris se sont tournés vers la culture de l’héroïne, ce qui a financé le retour au pouvoir des talibans; c’est comme si le Hezbollah faisait tout ce qui est en son pouvoir pour transformer le Liban en une économie basée sur les marchandises de la mort. La visite très médiatisée à Beyrouth du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian, rappelle à quel point l’implication du Liban dans la sphère économique de Téhéran signifie accepter le statut d’État paria.
Dans un pays agonisant où tant de gens ont perdu la volonté de vivre, «Hizb al-Shaitan» («le parti du diable») a rendu les stupéfiants mortels plus abordables que le lait pour bébé. La situation géographique du Liban en Méditerranée fait de cette nation commerçante historique le passage idéal pour inonder les marchés européens de stupéfiants, tandis que l’implication continue du Hezbollah dans le commerce de la cocaïne en Amérique latine est ce qui rapproche le plus Téhéran de son slogan «Mort à l'Amérique».
Le monde ne devrait pas s’attendre à ce que le système judiciaire libanais défaillant puisse résoudre ce problème. Les poursuites judiciaires contre une poignée de trafiquants de drogue libanais sont risibles – des personnes emprisonnées pour avoir blanchi quelques centaines de capsules! Il semble que les grands acteurs tentent d’éliminer la concurrence à petite échelle.
En s’attaquant de front à cette menace, le monde peut non seulement éviter que des millions de vies soient irréversiblement détruites, mais il peut également empêcher le détournement de milliards d’euros des recettes générées par la drogue à des fins de terrorisme et d’actions paramilitaires. Alors pourquoi cet échec international à admettre que l’alliance Hezbollah-Téhéran est de loin le réseau le plus mondialisé en matière de criminalité et de terrorisme?
Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com