Au sein de la classe politique iranienne, les partisans de la ligne dure et les modérés partagent un objectif: celui de garantir la survie du régime et du principe de Velayat-e faqih (tutelle du jurisconsulte). Les principaux partisans des deux idéologies sont des membres du régime, fidèles au Guide suprême, Ali Khamenei.
Cependant, il existe une différence entre les deux camps. Elle réside dans les moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif ultime. Cette distinction importante est de nature à mettre en lumière les politiques régionales et étrangères du régime, selon le camp politique qui contrôle la partie du gouvernement concernée.
Les partisans de la ligne dure donnent la priorité aux idéaux et principes révolutionnaires du régime, tandis que les modérés considèrent que le fait de donner la priorité aux intérêts économiques par rapport aux normes révolutionnaires sert davantage les intérêts de la classe politique.
C’est pourquoi les prétendus modérés sont davantage enclins à négocier avec l’Occident et à se servir de la voie diplomatique pour réintégrer le pays dans le système financier mondial et améliorer ainsi l’économie du gouvernement. Une telle démarche permet de consolider le régime théocratique en mettant à sa disposition les ressources et l’argent nécessaires pour mener à bien ses objectifs révolutionnaires, ses ambitions hégémoniques et son aventurisme militaire dans la région.
C’est par exemple l’administration dite modérée de Hassan Rohani qui a signé en 2015 avec les grandes puissances mondiales le Plan d’action global commun, relatif à son programme nucléaire. Après cet accord, les sanctions contre Téhéran ont été levées, le régime a acquis une certaine légitimité mondiale et des milliards de dollars ont rempli les caisses du gouvernement iranien.
Toutefois, la communauté internationale a remarqué que le comportement du régime et ses objectifs de politique étrangère n’avaient nullement changé après la signature de l’accord sur le nucléaire; au contraire, il a utilisé l’argent supplémentaire pour poursuivre ses ambitions dans la région, fournissant à ses milices et à ses groupes terroristes une aide financière ainsi que des munitions. Si l’administration Trump n’avait pas retiré les États-Unis de l’accord de 2015, Téhéran aurait continué d’en récolter les bénéfices et les modérés auraient sans doute toujours été à la tête du pouvoir exécutif.
Aujourd’hui, cependant, les partisans de la ligne dure de l’Iran contrôlent tous les pouvoirs du régime: exécutif, législatif et judiciaire. Cela fait près d’une décennie qu’ils n’ont pas été dans une telle situation, plus précisément depuis que Mahmoud Ahmadinejad était président.
Les principaux décideurs – Khamenei et les cadres supérieurs du Corps des gardiens de la révolution islamique et du groupe d’élite Al-Qods – dictent forcément ce que tel parti politique doit contrôler. Cela se fait par l’intermédiaire de puissantes institutions non élues comme le Conseil des gardiens de la Constitution, qui sélectionne les candidats politiques. Ses douze membres sont directement ou indirectement nommés par le Guide suprême. Ils doivent tous leurs postes à Khamenei et représentent donc son programme politique.
Après l’échec de l’accord sur le nucléaire et la nouvelle imposition des sanctions américaines contre le régime et après des soulèvements généralisés qui ont menacé la mainmise du gouvernement sur le pouvoir, de hauts responsables iraniens commencent à remplacer les modérés par des partisans de la ligne dure dans tous les services publics.
Le régime a mis en place un plan qui permet aux partisans de la ligne dure de diriger le Parlement et la présidence. Le bras politique de Khamenei, le Conseil des gardiens, a disqualifié plus de 7 000 candidats issus, pour la plupart, de mouvements politiques réformistes, indépendants et modérés avant les élections législatives de l’année dernière. En conséquence, des partisans de la ligne dure ont pris le contrôle du Parlement et, ensuite, environ 230 députés sur 264 ont élu Mohammed Bagher Ghalibaf, ancien général et haut responsable du Corps des gardiens de la révolution islamique, à la tête du Parlement.
«Si l’administration Trump n’avait pas retiré les États-Unis de l’accord de 2015, Téhéran aurait continué d’en récolter les bénéfices et les modérés auraient sans doute toujours été à la tête du pouvoir exécutif.»
Dr Majid Rafizadeh
Un an plus tard, le régime a organisé d’autres élections truquées à l’occasion desquelles le Conseil des gardiens de la Constitution a disqualifié tout candidat présidentiel, réformiste ou modéré, susceptible de concurrencer le choix de Khamenei, Ebrahim Raïssi.
À son tour, Raïssi a nommé des partisans de la ligne dure, parmi lesquels d’anciens membres du Corps des gardiens de la révolution islamique, au sein du gouvernement. Il s’agit notamment d’Ahmed Vahidi, le nouveau ministre iranien de l’Intérieur, commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique et ministre de la Défense sous la présidence d’Ahmadinejad, de 2009 à 2013. Vahidi est recherché par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) car il est soupçonné d’être impliqué dans l’attentat contre le centre juif Amia de Buenos Aires, qui avait causé la mort de 85 personnes en 1994. Hossein Amir Abdollahian, qui avait un rôle de liaison avec le Corps des gardiens de la révolution islamique et la force Al-Qods, est désormais ministre des Affaires étrangères.
Nous le voyons bien: le changement tactique du régime iranien, qui consiste à nommer des partisans de la ligne dure à la tête des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif, met en évidence la priorité qu’il accorde aux principes révolutionnaires par rapport à la diplomatie et aux intérêts économiques.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.