PARIS : Ses déclarations controversées le placent parfois à droite de l'extrême droite traditionnelle française. Et son étoile ne cesse de monter. Le polémiste Eric Zemmour tutoie les sommets dans les sondages.
Pour la première fois, une enquête d'opinion l'a donné mercredi qualifié au second tour de l'élection présidentielle de 2022, avec 17 à 18% des votes, derrière le président Emmanuel Macron (24 à 27%).
La cheffe de file du Rassemblement National et fille de l'ancien héraut de l'extrême droite Jean-Marie Le Pen, n'obtiendrait, elle, que 15 à 16% des suffrages et serait éliminée de la finale qu'elle avait disputée en 2017.
"Jamais un candidat n’a connu en si peu de temps, dans des mesures d'intentions de vote, une évolution telle que celle que connaît Eric Zemmour", commente Antoine Gautier, chargé d'études chez Harris Interactive, l'institut auteur du sondage, même si M. Zemmour n'est pas officiellement déclaré candidat.
Début septembre, lorsque cette éventualité avait été testée dans un premier sondage, il n'avait recueilli que 7% des intentions de vote. Mais le sulfureux polémiste, condamné à deux reprises pour provocation à la haine raciale, a fortement progressé, à mesure qu'il saturait l'espace médiatique, déroulant sa réthorique contre l'immigration.
«Trump, mais plus intello»
"Les Français se sentent colonisés", a-t-il lancé fin septembre dans un débat face à Jean-Luc Mélenchon, le candidat de l'extrême-gauche.
Les "élites françaises" ont "fait la folie criminelle de laisser venir des millions et des millions d'immigrés de la civilisation arabo-musulmane", a-t-il poursuivi.
Zemmour, "c'est un (Donald) Trump, mais plus intello", estime Philippe Corcuff, professeur de sciences politiques à l'Institut d'études politiques de Lyon. Le polémiste et l'ex-président américain "sont assez proches dans les discours", mais le Français est "une figure plus intellectuelle", poursuit-il.
Agé de 63 ans, cet homme fluet au regard vert perçant, issu d'une famille juive algérienne modeste, démarre sa carrière comme journaliste politique.
Marié et père de trois enfants, il se révèle au grand public dans des émissions "d'infotainment" à la télévision et voit sa popularité exploser lorsque CNews, parfois qualifiée de "Foxnews française", l'engage en 2019. La collaboration s'arrêtera finalement mi-septembre.
"Eric Zemmour est raciste, négationniste", affirmait mardi le ministre de la Justice français, Eric Dupond-Moretti, dénoncant "l'ultra médiatisation dont il bénéficie".
«Candidat chamboule-tout»
Un engouement qui perturbe tous les pronostics à droite car il séduit un tiers des électeurs de l'ancien candidat de la droite François Fillon et un tiers de ceux de Marine Le Pen à la présidentielle de 2017, selon le sondage de Harris Interactive.
"Il est beaucoup plus à l'extrême-droite que Marine Le Pen, mais il est plus respectable à droite", estime Philippe Corcuff.
Eric Zemmour, également chroniqueur au Figaro, le quotidien conservateur français de référence, "joue sur le fait que la droite (traditionnelle) n’a jamais résolu une contradiction" en son sein, entre son aile centriste et celle des plus "durs", qu'il "est là pour siphonner", remarque le politologue Jean-Yves Camus.
Ce "candidat chamboule-tout", qui "espère aussi prendre des voix aux abstentionnistes qui le voient comme un candidat hors système", selon M. Camus, doit toutefois bientôt se déclarer candidat, et donc réunir les parrainages de 500 élus.
"Tout le discours de Zemmour, c’est de faire l’union de la droite et l’extrême droite", analyse l'eurodéputé proche du parti socialiste Raphaël Glucksmann.
Le Rassemblement national de Marine Le Pen, qui le ménageait quand il était bas dans les sondages, est récemment passé à l'offensive.
Sur l'immigration, "à part une forme de brutalité, qu'apporte-t-il de plus en termes de solutions ?", a déclaré la cheffe du parti qui était quasiment assurée de passer au deuxième tour jusqu'à l'irruption du phénomène Zemmour.
Plusieurs responsables des Républicains (droite) sont également montés au front contre le polémiste.
"La France n'a rien à voir avec le pétainisme (l'idéologie du régime collaborationniste, paternaliste et antisémite du maréchal Philippe Pétain sous l'occupation allemande de 1940 à 1944) ou l'extrême droite", a raillé le député Damien Abad, pour qui "les Français ont droit à un débat éclairé pour comprendre ce qui différencie la droite républicaine d'Eric Zemmour".
D'après le sondage Harris Interactive, le polémiste perdrait toutefois largement face au président sortant (45% contre 55%) s'il parvenait au second tour en avril prochain.