PARIS: Facteur multiplicateur ou diviseur ? En lançant samedi au Havre son propre parti, Edouard Philippe promet d'élargir vers la droite le socle de soutiens à Emmanuel Macron, mais suscite la méfiance au sein de la majorité, qui craint un éparpillement voire une OPA sur la ligne politique.
Maladresse ? Ou "un peu de provoc" calculée, comme l'avance une ministre ? Absent ce week-end de l'université de rentrée de La République en marche à Avignon, l'ancien Premier ministre a en tout cas réussi à susciter autant d'intérêt que d'irritation, en conviant par vidéo les marcheurs à assister à la création de sa boutique politique samedi matin dans son fief normand.
Lui qui avait éteint les soupçons de duplicité en déclarant son soutien "complet" à M. Macron pour 2022 a ainsi alimenté un autre procès: celui de vouloir siphonner la majorité, fort d'une popularité née de sa gestion de la crise sanitaire et intacte 15 mois après son départ de Matignon.
Officiellement, il n'est évidemment pas question de cela. Signe de normalisation - ou volonté de canalisation - La République en marche compte d'ailleurs envoyer une délégation samedi au Havre, "comme on peut le faire avec un parti frère", selon le patron des députés LREM Christophe Castaner.
L'événement, auquel sont attendues entre 500 et 700 personnes selon l'entourage de M. Philippe, "rassemblera ceux qui sont curieux, intéressés. Venir ne veut pas forcément dire adhérer", explique l'eurodéputé Gilles Boyer.
Si quelques sénateurs centristes pourraient être de la fête, ainsi que des représentants du parti Agir, la cible première de cette "nouvelle offre politique" sont les maires de droite modérée et du centre, pour la plupart membres de l'association "La République des maires" pilotée par l'édile d'Angers Christophe Béchu et qui se réunit vendredi après-midi au Havre. Soit un réseau d'élus choyé depuis longtemps par M. Philippe, et qui correspond à un angle mort pour une majorité en quête d'ancrage local et d'élargissement.
Car le parti de M. Philippe doit constituer une piste d'atterrissage, à court ou moyen terme, pour des élus "qui aiment bien Edouard mais qui ne peuvent pas, ou ne souhaitent pas, soutenir Emmanuel Macron au premier tour" de la présidentielle, selon M. Boyer. "Après, ils auront à faire des choix au 2e tour, aux législatives, après les législatives", souligne-t-il encore, espérant ainsi les arrimer à la majorité.
"Si Macron repasse, on aura une situation très compliquée" à droite, confirme un proche de Xavier Bertrand qui pense que "Philippe ramènera" des élus dans son escarcelle en profitant de l'éclatement du paysage.
«Papier canson»
Dans ce contexte, M. Philippe, qui fut le bras droit d'Alain Juppé, "crante ses marqueurs" à droite, dixit son entourage. Sur la dette grimpante, ou encore sur les retraites, quitte à faire un pas de côté avec son action à Matignon, lorsqu'il n'était qu'exécutant du programme de M. Macron.
Il a ainsi plaidé dans l'hebdomadaire Challenges pour un report jusqu'à 67 ans de l'âge de départ à la retraite - après avoir ferraillé pour un décalage à 64 ans - et avancé l'idée de regrouper les 42 régimes existants dans 3 - après avoir travaillé sur un système unique.
"Il nous a toujours expliqué qu'il n'y avait pas une feuille de papier à cigarette" entre lui et le président "eh bien, manifestement, c'était du papier canson", raille un député LREM.
"Il n'est pas dans la dissonance pour marquer ses divergences: il veut participer à la définition de la ligne", assure en retour un ami du maire du Havre.
Assis autour de la table de la majorité, M. Philippe devrait logiquement négocier des circonscriptions législatives, même si un ponte du parti présidentiel assure qu'"à aucun moment il n'est rentré dans cette épicerie-là". De là à imaginer que certains députés misent sur M. Philippe, davantage que sur LREM, pour obtenir une investiture et peser dans une future coalition...
Pour l'heure, la force d'attraction de M. Philippe se limiterait à "une quinzaine de députés", selon un parlementaire. "Les Marcheurs, eux, ce qu'ils aiment, c'est Emmanuel Macron", se rassure une autre.