PARIS : La ville de Paris et la salle du Bataclan sont-elles des victimes directes des attentats du 13-Novembre? Face à l'opposition du parquet, leurs avocats ont ferraillé lundi pour qu'une "place" leur soit faite au procès de ces attaques jihadistes.
Les joutes procédurales sont venues cette fois du même côté de la salle d'audience, autour d'un aride débat juridique: les communes et les sociétés exploitant les établissements où ont eu lieu les attentats du 13 novembre 2015 sont-elles fondées à se constituer parties civiles?
Pour le parquet national antiterroriste (Pnat), qui représente l'accusation, la cour d'assises spéciale de Paris doit répondre par la négative et déclarer la constitution des communes et sociétés "irrecevable".
La question est sensible et le ministère public sait que sa position "peut être moralement difficile à concevoir". L'un de ses représentants, Nicolas Braconnay, insiste d'ailleurs: il ne s'agit ni de "minimiser les préjudices", ni de "trier ou opérer une hiérarchie dans les victimes".
"Nous disons simplement que ces préjudices ne sont pas directement liés aux infractions poursuivies", déclare-t-il, citant à l'appui de sa démonstration plusieurs arrêts récents de la Cour de cassation et demandant l'"application de la loi".
L'avocate du Bataclan, Me Marie Burguburu, se dit "sidérée": "Soutenir que le Bataclan n'aurait subi qu'un préjudice indirect est une aberration. Il n'y a pas eu le procès Charlie Hebdo sans (le journal) Charlie Hebdo. Il ne peut pas y avoir le procès du 13-Novembre sans le Bataclan", où 90 des 130 victimes du 13-Novembre ont trouvé la mort, lance-t-elle.
«Victimes de trop»
"Ce qui unit toutes les victimes, ce sont précisément ces lieux", la salle de spectacles et les terrasses de bistrots des Xe et XIe arrondissements de Paris, des "lieux de fête", des "lieux de libertés" visés comme tels, ajoute Me Burguburu.
"Il est là le lien invisible qui unit toutes ces victimes", un "lien que le parquet vous demande de rompre", déplore l'avocate du Bataclan.
Plus de 2 200 personnes se sont déjà constituées parties civiles, "dont des dizaines de personnes morales", rappelle Me Jean Reinhart, avocat du bar Le Petit Cambodge, "petit mais dont le préjudice est très grand".
"Plaider pour vous démontrer que nous ne sommes pas les victimes de trop, c'est un regret", soupire à son tour Me Victor Zagury, avocat du bar Le Carillon. Participer au procès pénal, "c'est une question de symbole", dit-il.
La même place est réclamée par les communes de Paris et Saint-Denis. Mais leur demande fait l'objet d'un débat jusque sur les bancs des parties civiles, certains avocats se levant pour soutenir les réquisitions d'irrecevabilité du parquet, au grand dam d'autres de leurs confrères.
"Certes Paris était visée, mais Paris en tant qu'elle était capitale de la France. Pourquoi fragmenter ainsi la société française?", soutient Me Sylvie Topaloff, qui dit avoir "quelques inquiétudes" sur la constitution de la ville de Paris, qu'elle qualifie d'"opportuniste".
La ville de Paris "ne veut prendre la place de personne" mais a "toute (sa) place ici", assure son avocat, Me Patrick Klugman, rappelant que "depuis le 13 novembre 2015", elle "s'est tenue au côté des victimes".
La cour d'assises spéciale va délibérer "au calme" sur ces questions, a annoncé le président Jean-Louis Périès, sans préciser toutefois quand la décision serait rendue.
La cour a ensuite examiné les constitutions de parties civiles de personnes physiques, dont des habitants de l'immeuble de Saint-Denis où un assaut du Raid a été mené le 18 novembre 2015 et où a été tué le chef opérationnel des commandos Abdelhamid Abaaoud.
Les auditions des parties civiles dont le statut de victime n'est pas contesté se poursuivent mardi, avec les derniers témoignages des victimes des terrasses, avant celles du Bataclan à partir de mercredi et pour près de quatre semaines.