WASHINGTON, D.C.: «Gardez espoir, ne perdez pas courage; quelque part dans le monde, on vous aime»: ce sont les mots que des écoliers américains ont écrits à la main sur du papier coloré. Ils les ont envoyés aux garçons et aux filles qui vivent si loin d’eux, à des milliers de kilomètres, dans les régions de Syrie assiégées par les rebelles.
L'espoir semble s'estomper en Syrie. Toutefois, des messages de solidarité et de réconfort y ont été acheminés grâce à un groupe de militants dévoués des États-Unis et à leurs partenaires humanitaires qui habitent la Syrie.
La Syrian Emergency Task Force («Groupe de travail sur les situations d'urgence en Syrie») est une ONG américaine créée en 2011. Elle fait le lien entre les États-Unis et les communautés de Syrie grâce à l'assistance humanitaire vitale qu'elle apporte aux enfants défavorisés de ce pays.
Lancée en 2016, l’initiative Letters of Hope («Lettres d'espoir») cherche à contredire les allégations du régime du président syrien Bachar al-Assad et de ses défenseurs internationaux selon lesquelles la communauté internationale aurait abandonné le peuple syrien.
Cette initiative a pour objectif de recueillir des lettres de solidarité écrites par des jeunes du monde entier et de les envoyer directement aux réfugiés syriens pour leur apporter du réconfort et leur faire savoir qu'ils ne sont pas abandonnés.
«Participer à la campagne Letters of Hope est bien plus qu’un message de solidarité. C'est un véritable engagement», affirme à Arab News Abby Straessle, directrice de développement de la Syrian Emergency Task Force (SETF).
Parmi les enfants qui reçoivent ces lettres, beaucoup sont victimes des frappes du régime. Ces derniers temps, les attaques ont redoublé d’intensité dans le nord-ouest de la Syrie, cette région déjà dévastée par l'offensive russe et iranienne menée au mois de mars de l'année dernière.
Ce sont les enfants qui souffrent le plus dans ce conflit qui remonte à plus de dix ans, époque à laquelle les manifestations contre le gouvernement ont été réprimées avec violence, ce qui a déclenché une guerre civile particulièrement meurtrière.
Selon la Syrian Civil Defense («Défense civile syrienne»), une ONG connue sous le nom de «Casques blancs», le régime syrien et les avions à réaction russes ont délibérément visé des écoles et privé les enfants d'éducation. De son côté, le gouvernement russe a fermement nié sa responsabilité dans ces frappes aériennes.
La Commission d'enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne, qui relève des Nations unies, affirme dans un rapport publié récemment que des secteurs résidentiels, des marchés et des établissements médicaux sont eux aussi pris pour cibles de manière délibérée et souvent aléatoire.
Il arrive que des enfants syriens soient tués lors d'attaques contre des infrastructures civiles. Au mois de juillet, des obus d'artillerie guidés de type Krasnopol et de fabrication russe ont percuté un établissement médical dans la campagne sud d'Idlib. Six enfants ont été tués.
Selon l'Unicef, cinq cent douze enfants auraient été tués dans des attaques similaires au cours de l'année dernière, principalement dans le nord-ouest de la Syrie. Par ailleurs, 1,7 million de jeunes vivent dans des conditions précaires dans les zones contrôlées par les rebelles; la plupart d'entre eux ont été déplacés plus d'une fois en raison des offensives successives du régime.
La guerre psychologique semble figurer en bonne place dans l’éventail stratégique de ce régime. Des brochures sont souvent lancées par avion sur les zones tenues par les rebelles pour avertir les habitants: ils doivent partir ou mourir.
«Tout le monde vous a abandonnés», peut-on lire sur l'un de ces tracts qui fait allusion à la communauté internationale. «Ils vous ont laissés à votre sort.»
La campagne Letters of Hope a été initiée dans l’objectif de contester expressément ce message et de rappeler aux enfants syriens qu'on ne les oublie pas.
«Letters of Hope est un moyen de dire aux Syriens que, même si les gouvernements du monde entier ferment les yeux sur leur détresse et même si l'administration américaine prend ses distances par rapport aux atrocités commises en Syrie, le peuple des États-Unis et du monde entier est solidaire des civils qui réclament la liberté dans ce pays ravagé par la guerre», explique Mouaz Moustafa, directeur de la SETF, à Arab News.
Bien entendu, les lettres à elles seules ne peuvent offrir une éducation aux enfants syriens, ni les mettre à l'abri des bombardements, ni calmer leur faim. La SETF a donc mis en place un programme complémentaire dans le nord de la Syrie: Wisdom House, ou «Maison de la sagesse», propose des classes maternelles et un centre pour femmes baptisé «Tomorrow's Dawn» («L'Aube de demain»).
Ce centre propose à plusieurs centaines de femmes une formation professionnelle et des certificats en esthétique, en soins infirmiers, en artisanat et en informatique.
en CHIFFRES
- 13,4 millions de Syriens dépendent de l'aide humanitaire, ce qui correspond au chiffre le plus élevé depuis 2017.
- 4,2 milliards de dollars (1 dollar = 0,86 euro): c’est la somme nécessaire au financement du Syrian Humanitarian Response Plan («Plan de réponse humanitaire pour la Syrie»), dont 27% seulement sont provisionnés.
(Source: Nations unies)
«Vos mots, si beaux et si émouvants, nous réchauffent le cœur et nous donnent de l'espoir.» C’est en ces termes que Moumena, professeure d'anglais et directrice de la Maison de la sagesse, a répondu aux lettres.
«Je suis touchée par ces messages, tout comme les autres enseignants qui s'occupent des enfants. En lisant les lettres envoyées par les enseignants, les élèves et ceux qui se soucient de nous, nous nous sentons protégés. Nous allons certainement sortir vainqueurs de cette épreuve.»
«Ces lettres nous insufflent force, espoir et amour. Les personnes qui nous les envoient ont toutes un cœur d'or, elles sont tendres et loyales. Je tiens à remercier du fond du cœur tous ceux qui nous apportent leur soutien et nous envoient ces mots magnifiques.»
La première lettre que j'ai reçue disait: «“Soyez forts, vous n'êtes pas seuls.” Ces mots sont très précieux pour moi», confie-t-elle à Arab News.
À ce jour, les élèves des écoles syriennes ont reçu plus de deux mille lettres en provenance de dix-sept États américains. Elles ont été rassemblées par les bénévoles de la SETF avant d'être acheminées par la frontière turque vers la partie de la Syrie contrôlée par les rebelles.
Des cartes décorées à la main ont été envoyées récemment par les élèves de la classe de maternelle de Holy Souls à Little Rock, dans l’Arkansas. La Wisdom House y a répondu en publiant une photo de ses salles de classe décorées de lettres et de ses élèves qui brandissent avec fierté une bannière où sont écrits ces mots: «L'Arkansas soutient le peuple syrien.»
Ce geste simple mais puissant rappelle aux enfants syriens qu'ils ne sont pas abandonnés à leur sort.
En effet, aux yeux de beaucoup de gens, le conflit syrien et les personnes prises dans le feu des combats et de la répression paraissent vraiment éloignés. Grâce à la touche personnelle que ces lettres véhiculent, les enfants nés dans des conditions tout à fait différentes parviennent à créer un lien.
«Les écoles ont subi plusieurs déplacements forcés au fil des années et leurs communautés ont été contraintes de quitter leurs maisons à Idlib au début de l’année 2020», explique Natalie Larrison, directrice de Wisdom House, à Arab News.
«En dépit de ces obstacles, la résilience des enseignants et de leurs communautés ainsi que le dévouement exceptionnel des personnes qui soutiennent la Wisdom House ont permis à l'école maternelle et au centre pour femmes de réussir et de prospérer.»
«Nous espérons que les sourires des enfants suffiront à dire aux dirigeants du monde à quel point il est important de les protéger et de leur permettre de vivre dans la liberté et le bonheur.»
Les journaux internationaux ne s'intéressent plus aux combats ni aux atteintes aux droits de l'homme en Syrie. Selon les analystes, cette indifférence, conjuguée à la passivité du Conseil de sécurité des nations unies, a encouragé le régime syrien à poursuivre ses offensives.
Au début de ce mois, le président russe, Vladimir Poutine, a accueilli Al-Assad dans la station balnéaire de Sotchi, située sur la mer Noire. Le Kremlin espère convaincre les dirigeants du monde d'accueillir à nouveau le président syrien dans le giron international et de le reconnaître en tant que dirigeant légitime de la Syrie, en dépit des crimes de guerre qu'il a commis.
En outre, le gouvernement russe exerce une pression sur les pays européens pour qu'ils déclarent la Syrie «pays sûr». Ainsi, les réfugiés pourraient retourner dans les zones contrôlées par le régime.
L'expérience vécue par les Syriens expulsés par le conflit relate une tout autre histoire. Omar al-Shogre est un conférencier suédois et un militant des droits de l'homme qui a collaboré étroitement avec la Syrian Emergency Task Force. Il a passé des années dans l’une des plus tristement célèbres prisons du régime.
«Ce que les Syriens craignent le plus, bien plus que de mourir sous les bombes, c'est d'être détenus par les services de renseignement», explique-t-il à Arab News.
«Cela concerne principalement les tortures physiques, sexuelles et psychologiques que vous subirez tant que vous resterez en vie dans le centre de détention. Les Syriens refusent de retourner en Syrie parce qu'on les attend là-bas. De fait, les services de renseignement les attendent.»
Seul le lobbying incessant de groupes comme la SETF peut faire en sorte de ne pas oublier totalement les enfants qui vivent dans cette partie de la Syrie contrôlée par les rebelles.
«Nous envisageons de continuer à fournir une éducation de qualité à un plus grand nombre de Syriens encore, de sorte que chaque enfant puisse suivre une formation dans une école comme la Wisdom House», affirme Mme Larrison.
«En dépit de l’incertitude qui plane sur l'avenir de la Syrie, nous espérons que le monde comprendra à quel point il est important de protéger les enfants et les communautés formidables de Syrie. Nous y parviendrons en racontant leurs histoires», conclut-elle.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
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