PARIS: Après quatre années de forte baisse des impôts des ménages et des entreprises, le gouvernement ne prévoit aucune nouvelle mesure fiscale dans son projet de budget 2022, au grand dam de ceux qui souhaiteraient une contribution des plus aisés en sortie de crise.
Baisse de l'impôt sur le revenu, suppression de l'Impôt sur la fortune (ISF) et création de l'Impôt sur la fortune immobilière (IFI), réduction des impôts de production et sur les sociétés, suppression de la taxe d'habitation, etc... Le quinquennat d'Emmanuel Macron a été marqué par d'importantes réformes fiscales.
Au total, le gouvernement a réduit de 50 milliards d'euros les impôts depuis 2017, aime à répéter le ministre de l'Economie, Bruno le Maire. Dont la moitié pour les ménages, et l'autre pour les entreprises.
Mais, depuis plusieurs mois, il défend le principe d'une "stabilité" fiscale, estimant que les ménages et les entreprises ont besoin de "visibilité" dans cette phase de sortie de crise.
Une fois n'est pas coutume, le projet de budget 2022 ne devrait donc contenir quasiment aucune nouvelle mesure fiscale, si ce n'est la poursuite de mouvements engagés avant la crise.
Ainsi, les 20% de ménages les plus aisés qui payent encore une taxe d'habitation verront son montant encore réduit cette année, avant sa suppression totale en 2023.
Le sujet avait suscité un début de polémique l'an dernier, lorsque le président de la République avait envisagé, lors de son discours du 14 juillet, de reporter la baisse de cette taxe pour les plus aisés, défendant un geste de solidarité en période de crise.
Les entreprises, de leur côté, bénéficieront également d'une nouvelle réduction de l'impôt sur les sociétés. Conformément au mouvement engagé en 2018, il sera ramené à 25% pour toutes les entreprises, contre au maximum 33,3% en 2017. Au total, la mesure devait représenter un gain d'environ 11 milliards d'euros selon l'évaluation initiale.
Ce qu'il faut attendre du projet de budget 2022 du gouvernement
Une forte reprise économique
Le projet de budget pour 2022 repose sur une prévision de croissance de 6% pour 2021 et de 4% pour 2022, soit une des reprises économiques les plus fortes de la zone euro, après certes une des récessions les plus massives en Europe (-8% en 2020).
Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, se félicite régulièrement que le taux de chômage ait retrouvé son niveau d'avant-crise (un peu plus de 8%), comme l'investissement des entreprises, et que la consommation des ménages ait rebondi.
Réduction du déficit
La reprise va permettre au déficit public de se résorber un peu plus qu'anticipé. Selon les prévisions de Bercy, il devrait passer de 9,2% du PIB en 2020, à 8,4% cette année, puis 4,8% en 2022 (contre 5,3% attendu auparavant).
Conséquence: le ratio de dette publique par rapport au produit intérieur brut (PIB) devrait lui aussi s'infléchir légèrement, à 116% en 2021, puis 114% en 2022. C'est toutefois encore un niveau record pour l'économie française, fruit de la politique du "quoi qu'il en coûte" édictée par le président de la République, Emmanuel Macron, pour faire face à la crise sanitaire.
Les missions régaliennes à l'honneur
Le budget de l'Etat devait déjà fortement progresser l'an prochain, d'au moins 11 milliards d'euros, à près de 300 milliards, selon le document d'orientation budgétaire publié en juillet. Mais ce sera finalement un peu plus, du fait de dépenses supplémentaires non encore prises en compte.
Pour ce qui est connu, ce sont les ministères régaliens qui tirent leur épingle du jeu de la négociation budgétaire, avec +1,7 milliard d'euros pour les Armées, +1,5 milliard pour l'Intérieur ou +600 millions pour la Justice.
L'Education est également bien dotée (+1,6 milliard après +4,3 milliards en 2021), notamment pour financer les revalorisations des rémunérations des enseignants. La Recherche voit aussi son enveloppe augmenter de 750 millions d'euros.
Baisses d'impôt
Le gouvernement maintient le calendrier des baisses d'impôts décidées avant la crise, mais ne souhaite prendre aucune nouvelle mesure fiscale dans le budget 2022.
Les 20% de ménages les plus aisés verront ainsi leur taxe d'habitation encore réduite l'an prochain, après une première étape en 2021. Déjà supprimée totalement pour 80% des ménages, elle le sera pour tous les contribuables en 2023.
De même, l'impôt sur les sociétés passera à 25% pour toutes les entreprises, dernière marche d'une réforme engagée en 2018, dans le but d'améliorer leur compétitivité.
Deux inconnues
Fait inédit, l'exécutif n'a pas encore arbitré deux mesures phares attendues dans le budget 2022: le plan d'investissement et le revenu d'engagement.
Le premier, qui devrait être de l'ordre de 30 milliards d'euros, vise à investir dans des filières d'avenir et innovantes, comme l'hydrogène, les biotechnologies, les batteries électriques ou les semi-conducteurs.
Emmanuel Macron devait le dévoiler initialement début septembre, mais sa présentation a été reportée à la mi-octobre. Officiellement, il s'agit de concerter davantage les filières industrielles concernées, mais le gouvernement doit aussi trancher son pilotage.
La deuxième mesure est le revenu d'engagement pour les jeunes, dernière grande réforme sociale du quinquennat. Il vise à accompagner ceux qui n'ont ni emploi, ni formation, et qui en échange d'un engagement recevront un revenu, sans doute autour de 500 euros. Coût estimé: 2 milliards d'euros par an, selon le ministère du Travail.
"On ne touchera pas à la fiscalité. Ce budget est un budget de stabilité. Je serai le gardien de cette discipline", prévient Laurent Saint-Martin, député LREM et rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, alors que la fiscalité est le principal outil à disposition du Parlement pour influer sur une loi de finances.
Lui-même devra une nouvelle fois remettre à une éventuelle future législature son action contre les niches fiscales. Et il restera vigilant sur les "tentations" de création de nouvelles niches par les députés.
Et demain ?
"Il y a tellement de choses qui ont été faites qu'il y a besoin de stabiliser les dispositifs pour voir l'état réel de l'économie", analyse Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
"Après le tumulte fiscal des dispositifs de soutien de la période Covid, essayer d'évaluer ce qui existe ne m'étonne pas de la part du gouvernement", ajoute-t-il.
Baisser la taxe d'habitation et l'impôt sur les sociétés, "étant donné la situation des finances publiques, c'est déjà beaucoup", nuance toutefois François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes et président de l'association Finances publiques et économie (Fipeco).
Et les Français ne devraient pas trop s'habituer à ces baisses, pronostique-t-il: "pour stabiliser la dette à horizon 2027, comme le veut le gouvernement, cela demandera un effort énorme sur les dépenses, et pas seulement avec une réforme des retraites". Une stratégie sans hausses d'impôts à laquelle il "ne croit pas"
Certains à gauche prônent d'ailleurs une mise à contribution exceptionnelle des plus riches, qui ont moins souffert de la crise, ou des entreprises ayant tiré parti de la pandémie (distribution, pharmacie...). A l'image notamment des projets de Joe Biden aux Etats-Unis d'augmenter la fiscalité sur le capital et les impôts des 1% les plus riches.
C'était aussi le sens de la proposition de loi défendue au printemps dernier par La France insoumise pour "l'instauration d'une taxe sur les profiteurs de crise", visant le surplus de bénéfices engrangé par les grandes entreprises pendant la pandémie.
Dans son programme pour 2022, le parti de Jean-Luc Melenchon prône d'ailleurs un retour de l'ISF, quand le projet du parti socialiste ou celui de l'écologiste Eric Piolle comprennent un ISF climatique.