PARIS: L'Assemblée nationale s'empare mardi d'un projet de loi qui retouche le régime d'irresponsabilité pénale, en lien avec l'affaire Sarah Halimi, et porte une série de mesures sur la sécurité, mettant le régalien au premier plan pour le redémarrage des travaux parlementaires.
Au menu jusqu'à jeudi en première lecture, ce projet de loi porté par les ministres Eric Dupond-Moretti (Justice) et Gérald Darmanin (Intérieur) est plutôt soutenu à droite mais pointé par la gauche comme un "énième texte sur la sécurité intérieure", pas à même de "renforcer les liens" des forces de l'ordre avec les citoyens.
Il n'est pas la traduction des annonces d'Emmanuel Macron mardi dernier en conclusion du Beauvau de la sécurité, cette vaste consultation depuis début 2021. De la présence accrue des policiers sur le terrain à la plainte en ligne, ces annonces feront l'objet d'un texte distinct début 2022 qui n'aura pas le temps d'être voté sous ce quinquennat et dessine déjà un programme pour la présidentielle.
En guise de "session de rattrapage" avant le galop de 2022, comme l'a taclé Antoine Savignat (LR), les députés remettent mardi sur le métier le sujet "totem" de l'irresponsabilité pénale. C'est une commande faite en avril par le chef de l'Etat, après la vive émotion face à l'absence de procès dans l'affaire Sarah Halimi, sexagénaire juive tuée par un gros consommateur de cannabis en proie à une "bouffée délirante" selon les experts psychiatres.
Pour y répondre, le gouvernement maintient la règle générale selon laquelle "on ne juge pas les fous" mais ajoute deux exceptions. Il s'agit d'abord de réprimer le fait pour une personne d'avoir consommé des produits psychoactifs, comme des stupéfiants ou de l’alcool, en sachant que cela pouvait la conduire à des violences ou un homicide dont elle a été déclarée irresponsable. Ainsi "il ne s'agit pas de réprimer l'acte commis mais l'absorption volontaire de psychotropes", résume le garde des Sceaux et ancien avocat qui assure avoir "largement consulté" et pris "d'infinies précautions" en la matière.
Autre exception "très limitée" à l’irresponsabilité pénale, mais sans lien avec l'affaire Halimi: lorsque l’abolition du discernement résulte de la consommation proche et volontaire de psychotropes dans le but de commettre une infraction. Cela a vocation à s'appliquer par exemple aux terroristes qui vont "s'abrutir juste avant leur forfait pour s'assurer de ne pas reculer", selon la corapporteure Naïma Moutchou (LREM).
Quelle portée ?
Droite et gauche, voire certains dans la majorité, ont cependant des doutes sur la possibilité de réunir ces conditions et mettent en garde contre le fait de "légiférer sous le coup de l'émotion". Les élus LFI redoutent même que le texte n'"ouvre la voie à une répression des troubles psychiatriques" - ce que récuse le ministre.
Les déclarations d'irresponsabilité pénale restent peu nombreuses en France: 58 cas en 2019, 80 en 2018 et 68 en 2017, selon la Chancellerie.
A ce volet sensible du projet de loi, le gouvernement a ajouté une ribambelle de dispositions "attendues par les forces de sécurité" selon la ministre déléguée à l'Intérieur Marlène Schiappa, alors que l'exécutif entend muscler son bilan régalien à sept mois de la présidentielle.
Ainsi les violences à l'encontre de ces agents ou de leurs familles seront plus durement réprimées, la lutte contre les rodéos motorisés ou les refus d'obtempérer renforcée, de même que le contrôle des détenteurs d'armes.
En outre, l'exécutif revient à la charge pour autoriser les captations vidéos dans les locaux de garde à vue, ainsi que les drones et caméras embarquées dans les véhicules des forces de l'ordre. Ces mesures de la loi Sécurité globale avaient été censurées en mai par le Conseil constitutionnel, faute de suffisamment de garanties du respect de la vie privée.
Selon le corapporteur Jean-Michel Mis (LREM), cette fois "l'équilibre complexe" entre "efficacité" et "respect des libertés publiques" est atteint.
La gauche épingle un gouvernement "mauvais joueur" et estime globalement que "l'accumulation" de mesures sous ce quinquennat "ne donne pas cohérence, qualité et efficacité", selon les mots de Marie-George Buffet (PCF).
La droite applaudit les nouvelles mesures, alors que ses prétendants à l'Elysée, de Xavier Bertrand à Eric Ciotti, font assaut de propositions sur la sécurité, leur terrain de prédilection.