PARIS: Quatre ans d'emprisonnement et la confiscation d'un patrimoine évalué à 90 millions d'euros: la cour d'appel de Paris a confirmé jeudi la condamnation de Rifaat al-Assad, oncle du dirigeant syrien Bachar al-Assad, dans la deuxième affaire de "biens mal acquis" jugée en France.
L'ancien vice-président de la Syrie, âgé de 84 ans, qui se présente aujourd'hui comme un opposant à son neveu, a été reconnu coupable de blanchiment en bande organisée de détournement de fonds publics syriens entre 1996 et 2016.
Comme l'avait fait le tribunal correctionnel en juin 2020, la cour d'appel a ordonné la confiscation de l'ensemble des biens immobiliers frauduleusement acquis.
La défense du frère de l'ancien président syrien Hafez al-Assad a immédiatement annoncé un pourvoi en cassation.
Compte tenu de l'âge et de l'état de santé de l'octogénaire, qui n'a pas assisté à ses deux procès pour des raisons médicales, il est peu probable qu'il soit un jour incarcéré.
Sur plainte des associations Transparency international et Sherpa, la justice française enquête depuis 2014 sur le colossal patrimoine de Rifaat al-Assad, en exil depuis 1984 après une tentative de coup d’État manqué.
Deux hôtels particuliers ont été saisis, ainsi que des dizaines d'appartements, un domaine avec château et haras, des bureaux, auxquels peuvent être ajoutés 8,4 millions d'euros correspondant à des biens vendus.
Les investigations ont montré que ces biens étaient détenus par Rifaat Al-Assad et ses proches via des sociétés au Panama ou au Liechtenstein, ensuite transférées Luxembourg.
La cour d'appel a considéré que cette fortune était bien en partie issue des caisses de l’État syrien. Elle a aussi condamné le prévenu pour blanchiment de fraude fiscale aggravée, ainsi que pour travail dissimulé d'employés de maison.
Il a en revanche été relaxé sur des faits couvrant la période 1984-1996, pour une question de prescription.
Les motivations de la cour d'appel n'étaient pas connues jeudi.
Ancien chef des forces d'élite de la sécurité intérieure, les Brigades de défense, Rifaat al-Assad a été au cœur du régime de Damas, participant au massacre de Hama en 1982, perpétré pour réprimer une insurrection islamiste.
Après avoir quitté la Syrie, il s'était installé en Suisse puis en France. Il est aujourd'hui résident britannique et possède un empire immobilier en Europe.
«Nouvelle étape»
Tout au long des deux procès, l'équipe d'avocats de Rifaat al-Assad a soutenu que son patrimoine avait une origine "parfaitement licite": une "aide massive" du prince héritier puis roi d'Arabie saoudite, Abdallah, entre les années 1980 et sa mort en 2015.
"Rifaat al-Assad était condamné par avance par le tribunal des bien-pensants et il arrive aujourd'hui que les tribunaux judiciaires (s'en) fasse la caisse de résonance", a réagi l'un de ses conseils, Me Emmanuel Rosenfeld.
"Il n'a en rien commis le délit de détournement qui lui est reproché et c'est une évidence", a-t-il ajouté.
Au moment de la plainte, "il y a sept ans, personne n'y croyait", s'est félicité Me William Bourdon, fondateur de Sherpa. "Après avoir été mis en cause dans des graves crimes de sang, Rifaat al-Assad est aujourd'hui condamné comme un grand criminel d’argent".
L'ancien dirigeant syrien est poursuivi en Suisse pour des crimes de guerre commis dans les années 1980. Il pourrait être aussi jugé en Espagne pour des soupçons plus vastes de "biens mal acquis" portant sur plus de 500 propriétés saisies, pour 691 millions d'euros.
"C'est une grande satisfaction pour Sherpa" et "plus généralement pour tous ceux qui militent et sont engagés contre la corruption", s'est félicité Me Vincent Brengarth, avocat de Sherpa.
Il s'agit de la deuxième affaire de ce type à être jugée en France, après celle du vice-président de Guinée équatoriale, Teodorin Obiang, définitivement condamné fin juillet, après le rejet de son pourvoi en cassation.
De fait, la Guinée équatoriale doit être le premier pays à bénéficier du nouveau mécanisme, fraichement adopté par le Parlement, pour la restitution des avoirs frauduleusement acquis par des dirigeants étrangers.
Des investigations concernant les familles Bongo au Gabon et Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville se poursuivent.