BEYROUTH: «Un soleil jaune et un soleil noir» est une exposition sur la double nature du soleil, «donneur de vie et vendeur de feu», pour reprendre les mots de L'Apocalypse arabe, le livre de la poétesse et plasticienne Etel Adnan.
Cet événement a été créé à l’initiative de la galeriste Bahar Kizgut, qui défend le travail d’Etel Adnan. Cette dernière a sollicité la conservatrice Karina el-Helou afin d’organiser l’exposition, qui ouvre aujourd’hui ses portes à la galerie Martch Art Project d’Istanbul. Elle réunit onze artistes libanais de générations différentes et qui ont rarement eu l’occasion de présenter leurs œuvres ensemble. «La scène libanaise est très riche, mais elle est dispersée dans le monde. Nous avons rarement l’occasion de rassembler ces œuvres qui se trouvent aujourd’hui entre Paris, Beyrouth et les États-Unis. Cette immigration va malheureusement se poursuivre; beaucoup d’artistes vivent loin de leur pays à cause de la situation dramatique du Liban», déclare Karina el-Helou à Arab News en français.
Dans les œuvres exposées, les rayons jaunes du soleil révèlent la beauté des montagnes libanaises, des temples romains et grecs ou des dieux comme Hélios. Il diffuse une lumière dorée, jaune, blanche, rose et orange, comme dans le travail de Daniele Genadry. Toutefois, d'autres œuvres montrent la nature destructrice d’un soleil noir qui, dominant le ciel de Beyrouth, semble doté d’un pouvoir incendiaire et plonge la ville dans un climat de violence, apportant avec lui son lot d’incendies et de destructions.
L’exposition, telle que la présente la conservatrice elle-même, est intime; elle se dévoile à la manière d’un poème. Empruntant à la poésie d’Etel Adnan ce regard mythologique et géologique qui nous plonge au cœur d’un Liban vieux de 3 000 ans, elle apparaît comme un véritable palimpseste avec ses strates d’histoires et ses cycles de souffrances. Le soleil qui domine Beyrouth et ses environs est donc bien double: s’il apparaît chaleureux et apaisant dans les travaux de Daniele Genadry, Stéphanie Saadé, Lamia Joreige ou Nadim Asfar, il se révèle, dans d’autres œuvres, noir, apocalyptique, brûlant, menaçant, châtiant... L’artiste et historien Gregory Buchakjian, sept ans durant, a photographié dans la capitale libanaise l’intérieur de maisons abandonnées. Il livre ainsi un état des lieux du Beyrouth d’après-guerre empreint de désolation, comme dans la série de murs brûlés qu’il expose. Dans son film Sun Rave («Éloge du soleil»), Roy Samaha, lui, spécule sur la théorie de l'héliocentrisme.
Ce soleil se montre également sous un jour apocalyptique dans l’œuvre de Simone Fattal et Vartan Avakian. Il forme un trou noir menaçant au-dessus de Beyrouth, une force irrésistible qui engloutit en son sein toute beauté et crache du feu. L’installation vidéo de l’artiste Sirine Fattouh Perdu/gagné présente quant à elle des témoignages de femmes libanaises.
Cette exposition constitue une première à Istanbul. «Des artistes libanais ont bien entendu exposé dans la capitale turque dans le passé – dans le cadre de la Biennale d’Istanbul pour Rayyane Tabet et Marwan Rechmaoui –, mais c’est la première exposition qui rassemble autant d’artistes libanais dans un même lieu et autour d’un même thème à Istanbul», précise la conservatrice.
«Cette exposition est une continuité de l’exposition personnelle d’Etel Adnan, qui a eu lieu à musée Pera d’Istanbul plus tôt dans l’année», ajoute-t-elle.
C’est une ode à la poésie et la beauté de ce pays, malgré toutes les destructions, autant qu’un dialogue d’artistes. «J’ai beaucoup apprécié de découvrir combien des artistes tel qu’Etel Adnan et Simone Fattal soutiennent la jeune génération et encouragent la cocréation. Par exemple, le film de Lamia Joreige dialogue avec le premier poème d’Etel Adnan, sur le soleil et la mer, écrit en 1949. Ces dialogues témoignent de la générosité et du soutien que l’on ressent au sein de cette scène artistique», explique la curatrice.
Malgré les drames qu’a connus le Liban, l’espoir n’est jamais loin. «Cette exposition veut aussi montrer que, malgré les destructions de Beyrouth, le Liban ne peut être résumé à cette part sombre de son histoire. Il est fait de montagnes, de lumière, de mer, d’histoire, d’archéologie, de différentes langues et, surtout, de beaucoup poésie et de folie», conclut Karina el-Helou.