Les calculs qui sous-tendent les élections allemandes aboutissent à un pays dénué de politique

Armin Laschet, candidat de la CDU au poste de chancelier allemand, président de la CDU et ministre-président de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. (AP)
Armin Laschet, candidat de la CDU au poste de chancelier allemand, président de la CDU et ministre-président de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. (AP)
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Publié le Dimanche 05 septembre 2021

Les calculs qui sous-tendent les élections allemandes aboutissent à un pays dénué de politique

Les calculs qui sous-tendent les élections allemandes aboutissent à un pays dénué de politique
  • Au début de l'été, le verdict des urnes semblait clair : les Verts de centre-gauche, en plein essor, seraient probablement distancés de peu par la CDU, parti au pouvoir depuis de longues années
  • À la fin du mois d'août, une enquête menée par l'institut de sondage Forsa, à un mois du scrutin, a révélé que le SPD devançait la CDU-CSU pour la première fois en 15 ans

A quelques semaines des élections allemandes prévues le 26 septembre, leur issue semble évidente, en termes de risque politique: L'Allemagne se dotera d'une coalition tripartite encombrante et rien ne bougera. En effet, pour déterminer le résultat de ces élections, il convient de procéder à des calculs mathématiques au lieu de se fier à la course de chevaux qui est lancée.
Mais comment suis-je à même de prévoir avec autant de certitude le résultat de ce scrutin qui décidera de la politique du pays le plus important d'Europe ? À mon avis, il faut mettre de côté la course de chevaux et se pencher sur la façon dont l'Allemagne est en réalité gouvernée.
Les actes d'auto-sabotage spectaculaires commis par Armin Laschet, candidat de la coalition de l'Union chrétienne-démocrate et de l'Union chrétienne-sociale (CDU-CSU du centre-droit), et Annalena Baerbock, candidate du Parti vert (centre-gauche), ont fait couler leurs deux partis dans les sondages ; ils sont les seuls à blâmer. Les scores médiocres des deux candidats favoris nécessitent la formation d'une coalition tripartite, pour la première fois en plus de 60 ans. En effet, c'est la seule chance de parvenir à une majorité au pouvoir, dans la mesure où aucun parti ne bénéficie du soutien de plus d'un quart de l'électorat.
Au début de l'été, le verdict des urnes semblait clair : les Verts de centre-gauche, en plein essor, seraient probablement distancés de peu par la CDU, parti au pouvoir depuis de longues années, et les deux partis devaient former une coalition stable et puissante. Mais le bon sens conventionnel ne prévoyait pas les tendances suicidaires de Laschet et Baerbock.

Laschet – l'incolore ministre-président de la grande puissance industrielle qu'est la Rhénanie-du-Nord-Westphalie – a battu de justesse son rival plus populaire, Markus Soeder de la CSU, pour devenir le candidat de la coalition CDU-CSU au poste de chancelier. Inutile de rappeler que, tout au long de la campagne, Laschet a su affirmer les raisons qui expliquent son impopularité. En juillet dernier, Laschet a été filmé hilare lors d'un hommage aux 180 victimes des récentes inondations qui ont frappé la ville d'Erftstadt, dans sa province natale.

Pendant plusieurs jours, ce comportement inapproprié a fait la une des journaux télévisés du pays. Il a montré un Laschet froid, insensible et profondément égocentrique. Impossible d'effacer cette image déplaisante, qui a semblé afficher le visage très laid de l’homme sans son masque de politicien. Ainsi, la cote de popularité de Laschet et de la CDU est tombée en chute libre.
 

Avec cette coalition tripartite, la première en Allemagne depuis 60 ans, il sera impossible de parvenir à un leadership décisif

Dr. John C. Hulsman

Mais les Verts de Mme Baerbock ne se tirent pas mieux d'affaire. Accusée par la presse d'avoir embelli son CV, Mme Baerbock a complètement dérapé quand elle a également été accusée de plagiat – on se demande pourquoi les dirigeants allemands ont cette habitude – dans son dernier livre, aux sources douteuses. Autrefois perçue comme une personnalité prometteuse, Mme Baerbock a joint les rangs des politiciens allemands indignes de confiance. Comme il fallait s'y attendre, ses chiffres ont chuté, tout comme ceux de son parti.
Par ailleurs, ces actes d'autodestruction ont profité à Olaf Scholz, le candidat du parti social-démocrate de centre-gauche à la chancellerie. Un homme calme, compétent et humble. Ministre des Finances au sein du gouvernement de la grande coalition CDU-SPD d'Angela Merkel, il a prudemment assuré qu'il poursuivrait la plupart des politiques de ce gouvernement (relativement) populaire. À l'instar de Joe Biden aux États-Unis, M. Scholz est une personnalité modérée et fiable pour les électeurs du centre qui, si ce n'était de lui, redouteraient son parti de gauche et qui sont séduits par sa politique fiscale exceptionnellement rigoureuse.

Tous ces facteurs réunis ont déclenché un séisme sur la scène politique. À la fin du mois d'août, une enquête menée par l'institut de sondage Forsa, à un mois du scrutin, a révélé que le SPD devançait la CDU-CSU pour la première fois en 15 ans. Le SPD a enregistré un score de 23 % des suffrages, contre 22 % pour la CDU et 18 % pour les Verts, dont la popularité ne cesse de décliner. Il s'agit de la cote la plus basse qu'aient jamais connue les conservateurs depuis le lancement des sondages par l'institut Forsa en 1984.

Si Scholz parvient à renverser la tendance, deux choix de gouvernance s'offriront à lui. Premièrement, une coalition rouge-rouge-verte réunissant les Verts et le parti d'extrême gauche Die Linke ; ou ce qui reste du parti communiste de l'Allemagne de l'Est. Ce regroupement serait incohérent d'un point de vue idéologique, dans la mesure où Die Linke préconise la sortie immédiate de l'Allemagne de l'Otan, ainsi que la nationalisation de tous les secteurs, ce qui surpasse de loin les convictions de l'establishment politique allemand.

Deuxièmement, Scholz pourrait se tourner vers une coalition aux couleurs des feux de signalisation : le SPD (rouge), le Parti démocratique libre (jaune), favorable aux entreprises et libéral, et les Verts. Sue le plan idéologique, cette alternative est tout aussi insensée, car les deux partis de gauche sont loin de répondre aux aspirations du FDP en ce qui concerne les aspects économiques. Ni l'un ni l'autre de ces scénarios n'aboutira à une Allemagne gouvernable.
Au-delà de l'incohérence idéologique qui se dessine, le vrai problème tient aux calculs relatifs à la coalition. Impossible d'amener trois de mes amis à s'entendre sur un parfum de glace favori. Que dire alors des grandes questions d'État ? Avec cette coalition tripartite, la première en Allemagne depuis 60 ans, il sera impossible de parvenir à un leadership décisif à la tête de l'État le plus important d'Europe. L'Allemagne sera ainsi condamnée à des politiques molles ou inexistantes.
Plus que jamais, l'Allemagne risque de se transformer en une zone dépourvue de politique, ce qui à son tour vouerait l'Europe à davantage de dérapages et d'incohérences. Berlin ne parviendra pas à diriger, même si elle est tenue de le faire. Les calculs qui sous-tendent les élections allemandes ne font que condamner l'Europe à une dérive et à un déclin plus prononcés sur le moyen terme.

Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com

NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com