VENISE : Le sort semble être brisé : en première mondiale hors compétition à la Mostra de Venise, la nouvelle adaptation au cinéma de «Dune», roman phare de science-fiction mais maudit à l'écran, offre un grand spectacle mêlant stars, action, onirisme et photographie somptueuse.
Signé Denis Villeneuve, ce film de 02H35 qui sort le 15 septembre en France a fait l'évènement sur le Lido, où Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Javier Bardem ou encore Zendaya sont venus le présenter.
Et les premiers échos sont attendus bien au-delà de la lagune : la série de romans de Frank Herbert est un chef-d'œuvre de la science-fiction aux millions de fans, dont aucune adaptation n'avait jusqu'ici franchement convaincu.
«Quand j'ai lu le livre enfant, j'ai été frappé par la trajectoire de Paul (Atréides, le héros), la façon dont son identité est confrontée à une autre culture, sa relation avec la nature, sa mélancolie...», a déclaré à Venise le réalisateur canadien de «Sicario» et «Premier Contact».
Très en vue à Hollywood, il avait déjà prouvé sa capacité à s'attaquer aux mythes de la SF, avec «Blade Runner 2049» (2017), suite du film de Ridley Scott.
Sans révolutionner le genre du space-opéra, mais avec des effets spéciaux dernier cri, il met cette fois un sacré coup de vieux au «Dune» de David Lynch (1984).
Ce fan de Frank Herbert reprend fidèlement l'intrigue de la première partie du premier livre de cette saga où tribus et potentats s'affrontent, des millénaires après notre ère, pour le contrôle de l'épice, un mélange qui prolonge la vie, offre des pouvoirs prophétiques et permet de voyager dans l'espace.
L'épice est récoltée sur une planète de sable brûlant, infestée de redoutables vers géants, baptisée Arrakis, ou Dune. Avec 165 millions de dollars de budget, le feu d'artifice visuel est explosif, au risque de paraître trop copieux.
- Chalamet chez les Atréides -
Côté acteurs, Timothée Chalamet s'approprie le rôle principal, celui de Paul Atréides, jeune prince destiné à devenir le prophète d'Arrakis, reprenant le flambeau porté par Kyle MacLachlan chez Lynch.
Jouer dans «Dune», était «un honneur unique dans une vie», a déclaré le Franco-américain de 25 ans, dont l'air juvénile et délicat évite au film, ponctué de combats et de scène d'action, un trop-plein de testostérone.
«Le plus grand défi (du tournage) était, de loin, de gérer et de maîtriser la chevelure» de cette jeune étoile de Hollywood, coiffé en bataille, a plaisanté Denis Villeneuve.
Souhaitant échapper aux écueils auxquels ont pu se heurter au XXe siècle le réalisateur de «Mulholland Drive» ou le cinéaste Alejandro Jodorowsky dans leurs tentatives de s'attaquer à Dune, il a ajouté, plus sérieusement, avoir cherché «un équilibre entre les détails qui donnent sa force au livre» et la simplification nécessaire à l'écran.
Dune «met en garde contre le mélange entre politique et religion, les dangers des figures messianiques, l'impact de la colonisation ou les problèmes d'environnement», a souligné Denis Villeneuve, 53 ans. «Malheureusement, le film parlera plus au monde qu'il ne l'aurait fait il y a quarante ans».
Chalamet est accompagné d'Oscar Isaac qui joue son père, le duc Leto, et de Rebecca Ferguson, sa mère, Dame Jessica.
On devine les traits de Charlotte Rampling derrière son voile de Révérende Mère des Bene Gesserit, tandis que le peuple des Fremen compte dans ses rangs l'Espagnol Javier Bardem et la révélation de la série «Euphoria», Zendaya.
Star aux 106 millions d'abonnés sur Instagram, susceptible de faire venir les plus jeunes générations en salle, elle n'apparaît que brièvement à l'écran, donnant rendez-vous pour la suite, espérée par le réalisateur : «ceci n'est qu'un commencement».
Ce premier film s'arrête au moment où Paul Atréides et sa mère, après la débâcle de leur clan, rescapés du massacre de leurs proches, se réfugient en plein désert et tombent sur un groupe de Fremens, qui pourrait changer leur destin.
"Dune": culte sur papier, maudit au cinéma
Chef d’œuvre de la science-fiction, « Dune », dont une nouvelle version est présentée vendredi à Venise, est un roman aussi culte pour ses millions de lecteurs que maudit pour les réalisateurs qui se sont risqués à l'adapter sur grand écran.
- Roman culte -
Des millénaires après notre ère, tribus et potentats s'affrontent pour le contrôle de l'épice, un mélange qui prolonge la vie et offre des pouvoirs prophétiques. Il se récolte sur une planète de sable brûlant, infestée de redoutables vers géants, baptisée Arrakis, ou Dune.
Avec le premier des six volumes du cycle de « Dune », Frank Herbert a posé en 1965 les bases d'un « space opéra » qui deviendra une œuvre majeure de la science-fiction, à l'influence considérable, dans Star Wars notamment.
Paul Atréides, jeune prince qui deviendra le prophète des Fremen, le peuple d'Arrakis, a fait écouler 20 millions d'exemplaires de ce qui reste « le roman de science-fiction le plus vendu et le plus lu » au monde, mais aussi « le plus commenté et le plus étudié, notamment dans le cadre de travaux universitaires », souligne auprès de l'AFP Renaud Guillemin, membre éminent de la communauté des « Duniens » de France (et par ailleurs chercheur au CNRS), qui a participé à la révision de la traduction de ce classique (réédité tome par tome d'ici la fin de l'année) chez Robert Laffont.
Dune est « le prototype même du +livre univers+, avec « a propre cohérence, ses propres références, ses propres fondations », à l'image du Seigneur des Anneaux en fantasy, ajoute-t-il.
Sans compter des « trouvailles qui ont fasciné des générations de lecteurs » comme les vers des sables, le distille, une combinaison qui recueille et recycle la sueur, ou le Bene Gesserit, un ordre de femmes combattantes capable d'influer par la pensée.
Les mordus louent une œuvre visionnaire, anticipant sur des questions allant du réchauffement climatique à la toute-puissance des Gafam, en passant par l'impact des technologies.
- Film maudit -
Tenant à la fois de la tragédie grecque, du mythe biblique et de l'épopée médiévale, « Dune » semble taillé pour le cinéma. Pourtant, il traîne la réputation de « film maudit par excellence », explique à l'AFP Lloyd Chéry, qui réédite son ouvrage de référence « Tout sur Dune », et a fondé le podcast « C'est plus que de la SF ».
Figure de l'underground et auteur de films cultes dans les années 1970, le franco-chilien Alejandro Jodorowsky, s'y est cassé les dents. Le projet auquel le cinéaste se consacre de 1973 à 1977 est colossal. Jodorowsky compte embarquer dans l'aventure Salvador Dali, Alain Delon, Orson Welles, le dessinateur Moebius ou encore les Pink Floyd à la musique.
Faute de moyens à la hauteur, l'échec de ce projet hors du commun est resté dans l'histoire du cinéma, et a fait l'objet d'un documentaire, « Jodorowsky's Dune » (2013).
Après avoir failli être adapté par Ridley Scott, le créateur d'Alien, l'idée de porter Dune à l'écran échoit ensuite à David Lynch. Après sept versions du scénario, le film nécessitera six mois d'un tournage particulièrement pénible, au Mexique. Les décors sont monumentaux, les costumes se comptent par milliers, mais la créativité du cinéaste se trouvera écrasée par la machinerie hollywoodienne.
Le film, avec Kyle MacLachlan, l'une des plus grosses productions de l'époque avec 40 millions de dollars mis sur la table, sera un flop commercial à sa sortie. De ce grand film raté, l'auteur aujourd'hui culte de « Mulholland Drive » gardera le souvenir d'un « cauchemar ».