Les talibans se sont emparés du pouvoir en Afghanistan, ce qui a poussé de nombreux pays – le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, la Suède, la Norvège et la Finlande – à rapatrier leurs citoyens et fermer leurs ambassades à Kaboul. L’Iran, cependant, garde son ambassade ouverte. Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, cité par l’Irna (Agence de presse officielle de la République islamique d’Iran), déclare: «L’ambassade de la République islamique d’Iran à Kaboul demeure pleinement ouverte et active. Il en est de même pour le consulat général d’Iran à Hérat.»
Il est important d’observer de près les liens entre le régime iranien et les talibans puisque leur relation aurait des répercussions considérables sur la région.
Alors que certains chercheurs, politiciens et analystes politiques soutiennent que le mouvement taliban et le régime iranien sont des adversaires naturels parce que le premier est de confession sunnite et le second chiite, on peut considérer ce constat comme extrêmement simpliste et erroné. Le régime iranien est prêt à s’allier avec n’importe quel groupe, quelle que soit son orientation religieuse, du moment où ce dernier a des intérêts en commun avec les principes révolutionnaires et idéologiques de Téhéran. Les alliances solides que l’Iran a tissées avec le Venezuela, la Corée du Nord, le Hamas et Al-Qaïda en sont des exemples.
L’un des intérêts communs les plus importants entre les talibans et la République islamique est leur opposition ferme aux États-Unis. C’est pour cette raison que les dirigeants iraniens se réjouissent du retrait des troupes américaines d’Afghanistan. Ils voient cette évolution comme un coup dur pour Washington et un échec de sa politique étrangère dans la région.
Avant la prise de pouvoir des talibans, Ali Shamkhani, secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale de l’Iran a publié le tweet suivant en janvier: «Lors de la réunion qui s’est tenue aujourd’hui avec la délégation politique des talibans, j’ai pu constater que les dirigeants de ce groupe sont déterminés à combattre les États-Unis.» Cette déclaration a rendu furieux le gouvernement afghan et en a surpris plus d’un parce que le président Ashraf Ghani était toujours au pouvoir. Yasin Zia, le chef d’état-major de l’armée nationale afghane a répondu en tweetant: «Malheureusement, votre compréhension (Shamkhani) de la guerre en Afghanistan est inexacte. Les talibans ne se battent pas contre les États-Unis mais contre le peuple afghan. Nous prendrons des mesures radicales contre tout groupe qui serait l’ennemi du peuple afghan.»
Il convient également de noter que l’Iran a longtemps servi de refuge aux dirigeants talibans, qui se rendent dans ce depuis 1996. En 2016, le magazine Foreign Policy rapporte que le chef des talibans, le mollah Akhtar Mansour «a été tué au Pakistan par un drone américain… après avoir quitté le territoire iranien où vit sa famille. Des responsables américains affirment que le mollah Mansour voyageait régulièrement vers et à partir de l’Iran».
De plus, le régime iranien dote les talibans d’armes et d’argent depuis bien longtemps déjà. En 2017, Rahmatullah Nabil, ancien chef de la direction nationale de la sécurité en Afghanistan, a accusé l’Iran de fournir des armes et une aide financière aux talibans. Par ailleurs, deux responsables occidentaux ont confié en 2016 au magazine Foreign Policy que le gouvernement iranien «fournit aux talibans le long de ses frontières de l’argent et des armes «légères» comme les mitrailleuses, les minutions et les grenades propulsées par roquettes».
Le régime iranien avait l’habitude de garder secrets ses liens avec les talibans par le passé. Aujourd’hui, il a changé de politique et soutient ouvertement le groupe. Kayhan, un quotidien financé par le bureau du Guide suprême iranien – et considéré comme le porte-parole d’Ali Khamenei –, tente de véhiculer une image positive des talibans. On peut y lire: «Les talibans d’aujourd’hui sont différents de ceux qui voulaient décapiter les gens.»
Le régime iranien dote les talibans d’armes et d’argent depuis bien longtemps.
Dr Majid Rafizadeh
Cependant, l’ancien diplomate iranien Ali Khorram met le régime en garde: «Penser que les talibans peuvent être placés sous le commandement de Téhéran revient à réchauffer un serpent dans son sein. En ce qui concerne les intérêts nationaux de l’Iran, le gouvernement libéral d’Ashraf Ghani est cent fois meilleur qu’un gouvernement radical (Daech)-talibans. Vous avez été trahis par la Russie et Israël en Syrie. Prenez garde à ne pas tomber dans un piège bien plus périlleux tendu pour vous en Afghanistan par l’Occident, Israël et la Turquie, parmi d’autres acteurs régionaux.»
Avant que les États-Unis ne confirment le retrait de leurs troupes d’Afghanistan, une délégation de talibans a rencontré publiquement de hauts responsables iraniens, dont le ministre des Affaires étrangères Javad Zarif. Durant leur réunion qui s’est tenue en janvier, ils ont évoqué «les relations entre les deux pays, la situation des migrants afghans en Iran, ainsi que la situation politique et sécuritaire actuelle de l’Afghanistan et de la région».
Le régime iranien s’attendait à une prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, comme l’a souligné M. Zarif à la suite de cette réunion. Selon lui, «les décisions politiques ne peuvent être prises au hasard et un gouvernement inclusif doit être formé de façon participative en tenant compte de toutes les structures, institutions et lois fondamentales, y compris la Constitution».
Enfin, les liens du régime iranien avec le mouvement Al-Qaïda montrent que Téhéran ne s’oppose pas à ce que les talibans abritent des groupes terroristes, pourvu que leurs cibles soient les États-Unis et les autres ennemis de l’Iran.
Téhéran se considère comme vainqueur après la prise de contrôle du gouvernement afghan par les talibans parce que les liens entre l’Iran et les talibans sont tout simplement redoutables.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com