ANKARA: La Turquie s’apprête à faire face à l’arrivée massive de réfugiés afghans à la suite de la prise de contrôle rapide de leur pays, déchiré par la guerre, par les Talibans, qui ont pénétré la capitale Kaboul.
Lors d’une cérémonie dimanche, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a conseillé aux migrants afghans d’éviter de se rendre en Turquie, et s’est engagé à poursuivre ses efforts pour assurer la stabilité en Afghanistan.
«Nous devons continuer à coopérer avec le Pakistan afin d’en arriver là. Nous sommes déterminés à mettre en œuvre tous les moyens à cette fin», a-t-il affirmé. M. Erdogan a ajouté que la Turquie empêchera le transit de la frontière iranienne par le biais d’un mur de haute sécurité construit par Ankara.
Toutefois, le nombre croissant de réfugiés en Turquie, en majorité des Syriens et des Afghans, pourrait susciter davantage de tensions sociales, le pays étant déjà confronté à un fort chômage et à une inflation importante. Les citoyens cherchent des boucs émissaires dans le contexte d’une économie touchée par la pandémie.
Par ailleurs, le mollah Mohammad Yakoub, fils du mollah Omar, fondateur des Talibans, a récemment déclaré au service turc du quotidien The Independent que «la Turquie est un pays qui abrite de nombreux afghans et avec lequel nous voulons entretenir des relations étroites. Nous considérons la Turquie comme un allié, et non comme un ennemi».
Ankara est toujours en pourparlers avec Washington après avoir proposé de déployer des troupes à l’aéroport de Kaboul dans le cadre du retrait définitif des forces de l’Otan. Cependant, Ankara a posé quelques conditions financières, logistiques et diplomatiques préalables.
«Le principal problème est que la Turquie n’a pas mis en place de plan directeur pour sa politique migratoire», explique à Arab News Sinan Űlgen, président exécutif du groupe de réflexion Edam basé à Istanbul, et chercheur invité à Carnegie Europe. «Ce que nous entendons de la part du gouvernement et de son entourage, c’est qu’il existe une incertitude sur ce que la Turquie va faire face à cette vague potentielle de réfugiés en provenance d’Afghanistan.»
Pour le chercheur, la société turque semble avoir atteint un point critique sur la question des réfugiés. «Lorsque les réfugiés syriens sont arrivés entre 2011 et 2016, l’économie turque était en plein essor, alors qu’aujourd’hui le pays vit sous la contrainte économique, avec un chômage qui explose dans un contexte de pandémie. Les réactions à l’arrivée de nouveaux réfugiés se sont aggravées, causant des incidents tragiques, comme celui qui s’est produit à Ankara il y a quelques jours».
Le 12 août, une foule de Turcs avait en effet attaqué des magasins, des voitures et des maisons appartenant à des Syriens, après le meurtre d’un jeune garçon turc par un réfugié syrien à Ankara.
D’un point de vue technique, les experts ont souligné la nécessité d’une gestion efficace des frontières en remédiant aux déficiences existantes. Ankara a récemment décidé d’étendre la construction du mur le long de sa frontière avec l’Iran pour couvrir la totalité des 295 km de frontières. Jusqu’à présent, 149 km ont été achevés, et il est prévu d’ériger des tours de guet, des capteurs sans fil et des tranchées pour renforcer la sécurité.
«La première grande décision que le gouvernement doit prendre est de contrôler physiquement les frontières de la Turquie, afin de démontrer à la population turque que ce contrôle physique est en place», précise M. Űlgen. «Si cela n’est pas fait, je crains que les récentes provocations ne créent encore plus de difficultés sociales et de réactions hostiles aux réfugiés». L’expert souligne que la Turquie devrait conclure un «pacte social» sur la politique des réfugiés. «Historiquement, la Turquie est une destination de choix pour de nombreux réfugiés, en raison de sa géographie et de nombreux pays voisins qui sont une source d’instabilité.»
«Aujourd’hui, comme dans beaucoup d’autres domaines politiques, il ne peut y avoir de délibération inclusive sur cette question dans un environnement qui est très polarisé et dirigé par le gouvernement. Il est nécessaire qu’il y ait un débat ouvert sur la politique migratoire de la Turquie», affirme M. Űlgen.
Metin Corabatir, le président du Centre de recherche turc sur les réfugiés et migrants, basé à Ankara, s’est récemment rendu dans la province orientale de Van, une région turque frontalière de l’Iran, où transitent généralement des groupes de migrants afghans.
«Le contrôle des frontières dans la ville a considérablement augmenté. Des équipes de commandos, des unités spéciales et des policiers montent la garde contre les migrants qui tentent de s’infiltrer à la frontière. Les autorités de l’État, qui appréhendent les migrants et les transfèrent dans des centres de renvoi, sont également présentes», explique-t-il à Arab News.
«Bien que les efforts de renforcement de la frontière aient eu un effet dissuasif, il y a certains endroits le long de la frontière qui sont plus faciles à traverser, comme les vallées». Selon M. Corabatir, la gestion de l’afflux de réfugiés afghans nécessite l’engagement de la communauté internationale, ainsi que des négociations efficaces avec l’Iran et d’autres pays qui peuvent également accueillir un grand nombre de personnes.
«En ce qui concerne les personnes déjà présentes en Turquie, le pays devrait immédiatement les enregistrer, car la plupart d’entre elles ne le sont pas, et ne peuvent donc bénéficier d’aucun droit pour garantir des conditions de vie décentes dans le pays. Elles ne peuvent même pas se faire vacciner ou inscrire leurs enfants à l’école», assure M. Corabatir.
Quelque 120 000 Afghans enregistrés résident en Turquie. Cependant, on estime qu’il y en a beaucoup plus qui sont sans papiers. La Turquie impose une limitation géographique à sa ratification de la Convention des Nations unies de 1951 relative au statut des réfugiés.
Par conséquent, seules les personnes fuyant l’Europe peuvent obtenir le statut de réfugié, tandis qu’avec certaines autres nationalités, la Turquie met en œuvre un régime de protection temporaire assorti d’un droit de séjour légal, et d’un accès de base aux droits et aux services.
«La Turquie devrait lever cette limitation, afin que les migrants puissent bénéficier de certains droits fondamentaux. Connaître le nombre exact de réfugiés qui vivent en Turquie aidera également la communauté internationale à acheminer le montant de l’aide financière. Cependant, cela a un coût politique important pour le gouvernement, et cette démarche nécessite le soutien des partis d’opposition», estime M. Corabatir.
En outre, le nombre de migrants — issus essentiellement de Syrie et d’Afghanistan — qui entrent illégalement dans l’Union européenne (UE) en traversant les Balkans occidentaux a presque doublé cette année, selon l’Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes (Frontex).
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com