BEYROUTH: Pendant des années, Laïth al-Husseini mène une double vie. Dans l’une, c’est un jeune homme introverti qui étudie la médecine à Amman. Il ne quitte quasiment jamais sa chambre et passe le plus clair de son temps à étudier en se bourrant de Ritalin. Il n’a que 13 ans quand on lui prescrit, pour la première fois, ce médicament pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) dont il souffre.
Dans l’autre, il est The Synaptik, l’un des artistes hip-hop les plus célèbres et les plus polyvalents du Moyen-Orient. Il a choisi ce surnom pour immortaliser la fascination qu’il a du fonctionnement interne du système nerveux de l’homme.
Une fois son diplôme en poche en 2019, Al-Husseini décide de mettre fin à cette double vie et d’opérer des changements sur le plan personnel. «Quand j’ai terminé mes études de médecine, j’ai immédiatement arrêté de prendre du Ritalin. J’ai également décidé de m’installer en Palestine», déclare-t-il dans un entretien à Arab News. «Je me suis acquitté de mes obligations envers ma famille et la société. Il était temps pour moi de faire ce que j’aime vraiment.»
À l’époque, l’artiste palestino-jordanien avait déjà un album à son actif. Ses mélodies et ses rimes sereines dans Om al-Mawjat («La mère des vagues») en 2018 ont fait de lui l’un des nouveaux talents les plus prometteurs de la région et lui ont valu un contrat avec la Warner Music Middle East.
Mais rien ne semble l’avoir préparé à l’aventure qu’il s’apprête à vivre et qui est couronnée par la sortie de son deuxième album Al-Qamar wal Moheet («La lune et l’océan»).
«J’ai entamé l’album lorsque toutes ces questions sur moi ont commencé à me tarauder. Quand j’ai brusquement arrêté les médicaments, j’ai dû recommencer», précise-t-il.
Il a décidé de s’installer en Palestine en raison des scènes musicales vibrantes à Haïfa et Ramallah où il vit actuellement. «Après avoir fait quelques concerts ici, j’ai décidé d’emménager pour de bon.»
Son album Al-Qamar wal Moheet raconte le périple de la découverte de soi de l’homme. «Je me suis demandé qui je suis et pourquoi je suis ici», explique-t-il. «Cet album raconte à quel point j’ai changé et mûri.»
Il rejette toutes les idées reçues qu’on peut avoir sur ce métier: «Se lancer dans le monde réel peut être très traumatisant.»
Il décrit le processus qu’il appelle «Devenir The Synaptik».
«J’ai quelques tatouages. J’ai perdu beaucoup de poids. Je ne suis plus la même personne», dit-il. «Je tentais d’échapper à mon passé et aux moments macabres qui ont marqué ma vie. C’est un périple des plus intenses que d’essayer de retrouver un semblant de paix intérieure après avoir eu beaucoup de hauts et de bas. C’est consumant.»
La Palestine était le lieu idéal pour adopter ce changement. «Ironiquement, il y a beaucoup plus de liberté ici. On peut lâcher prise et être qui on veut.»
Al Qamar wal Moheet – qui accompagne The Synaptik dans «sa quête du juste milieu entre la lune et l’océan, l’équilibre entre ces deux extrêmes qu’était ma vie» – n’est pas un album de hip-hop classique. C’est un amalgame de R&B, de pop et d’éléments de la musique traditionnelle palestinienne qui fusionnent grâce à son style unique qui alterne rap et chant.
L’album comprend quinze morceaux «sombres, personnels et intenses». Al-Husseini sent qu’il est sur le point de «changer le monde» avant de se heurter à «des déceptions et des démons» qu’il affronte grâce à «une persévérance après avoir touché le fond et une réconciliation entre Laïth et la personne que je suis en tant que The Synaptik».
Plusieurs sommités du hip-hop arabe figurent également dans l’album d’Al-Husseini, comme l’Égyptien Abyusif, le Saoudien Moayad et le Syrien Bu Kolthoum. Al-Husseini a tenu à ce qu’ils participent pour qu’ils expriment leurs points de vue sur les problèmes auxquels il fait face. Le résultat est un récit puissant non seulement de ses luttes personnelles mais aussi de la vie de tous les jours d’un «citoyen de seconde classe», en Cisjordanie dans les territoires occupés.
«L’oppression à toute heure vous rend la vie si difficile. Si j’ai un concert “de l’autre côté du mur”, il me faut une autorisation. Il faut que j’attende dans une cage pendant sept heures avec 300 autres personnes avant de me retrouver face à un soldat qui soit refuse de s’adresser à moi, soit me dit des choses que je ne peux répéter en entretien.»
The Synaptik choisit de voir les difficultés comme une épreuve stimulante, tout comme l’effet de la pandémie sur son aptitude à se produire sur scène: «Cela me rend plus fort et me pousse à m’armer de patience. J’ai plus confiance en ce que je veux et sais mieux où je vais. Ici, la réalité est intense, mais je sens que cela donnera naissance à une excellente musique qui enrichira la scène artistique.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com