AMSTERDAM: En grandissant, raconte Zineb Belrhiti à Arab News, «j'étais beaucoup plus dans la culture occidentale: je regardais beaucoup de films américains et j'écoutais de la musique américaine et britannique. Je ne voulais pas écouter les grands artistes arabes que mes parents affectionnaient».
L'expérience de l'artiste d'origine marocaine est typique de celle ses pairs qui grandissent dans le pot-pourri culturel de Dubaï. «Je n'ai vécu au Maroc que jusqu'à l'âge de trois ans. J'ai grandi aux Émirats arabes unis (EAU). Je suis allée dans une école française, donc j'étais entourée de gens de différentes nationalités – et en général, les EAU sont très multiculturels», précise-t-elle.
Mais à la fin de son adolescence, Zineb Belrhiti a commencé à se sentir quelque peu déracinée – une autre expérience à laquelle de nombreuses personnes aux EAU pourront s'identifier. «J'ai réalisé que je me sentais assez éloignée de ma propre culture. Je ne me sentais pas vraiment Marocaine, mais je ne suis pas Française non plus. Je parle français et j'ai grandi avec la culture française, mais je ne peux pas dire que je suis Française, parce que je ne le suis pas. En même temps, je ne peux pas dire que je viens des EAU car, même si j'ai passé ma vie ici, je n'ai pas de passeport émirien.»
«Je ne pense pas être la seule, je pense que c'est quelque chose que beaucoup de gens peuvent comprendre. Et cette déconnexion de toute culture m'a donné envie de me rapprocher de mes racines marocaines et de la culture arabe en général», poursuit-elle.
Son niveau en arabe n'étant pas particulièrement bon, explique-t-elle, elle s'est donc tournée pour pallier ses difficultés vers certains des musiciens arabes que ses parents aimaient et qu'elle avait auparavant évités. J'ai commencé à vraiment apprécier Abdel Halim Hafez, Oum Kalthoum, Fairouz…» De là un lien plus fort avec ses racines arabes s’est développé.
Dans son exposition audiovisuelle Soundtrack to Puzzled Identities, mise en ligne le mois dernier par la P21 Gallery (organisation caritative basée à Londres dont l’objectif est la promotion de la culture et de l'art contemporains du Moyen-Orient et de l'Arabie), Zineb Belrhiti réunit un certain nombre de ses influences culturelles afin de dépeindre les tensions et la confusion — et l'inspiration créatrice — que ces sentiments de «troisième culture» peuvent susciter.
Ses illustrations pop art présentent des musiciens arabes sur fond de pochettes de disques occidentales (Oum Kalthoum sur 21 d'Adele, Fairouz sur Born to Die de Lana Del Rey ou Abdel Halim Hafez sur le premier album éponyme d'Elvis Presley), et chacune est accompagnée d'un court mix audio (créé par Zineb Belrhiti sur le logiciel GarageBand) d'un morceau des artistes concernés.
«Toute l'exposition est centrée sur la nostalgie, ce sont tous des artistes que j'ai écoutés à un moment de ma vie qui représentaient quelque chose», explique-t-elle. «Lana Del Rey, je l'écoutais beaucoup quand j'avais 14 ans, et c'était vraiment la genèse de mes propres goûts musicaux. Puis j'ai découvert la musique indie, et je suppose qu'à partir de là, mes goûts ont vraiment évolué. Adèle, elle aussi, est emblématique, et de nombreuses personnes reconnaîtront cet album. Elvis Presley est également un grand artiste. Je voulais donc que l'album soit reconnaissable, mais aussi que les artistes occidentaux soient grands, juste pour montrer à quel point ces artistes arabes sont également importants.»
Outre les icônes arabes déjà mentionnées (dont Warda sur Future Nostalgia de Dua Lipa), Zineb Belrhiti a également inclus deux artistes alternatifs arabes contemporains – les pionniers de l'indie libanais Mashrou’ Leila (sur Hot Space de Queen) et l'artiste trap marocain Issam (sur Aladdin Sane de David Bowie).
«Quand j'ai découvert Mashrou’ Leila, j'étais vraiment contente de constater que ce groupe arabe indépendant marchait si bien, même en Occident. C'est vraiment intéressant qu'ils chantent en arabe et soient en même temps reconnus dans le monde entier. Cela s'applique à Issam aussi. Il chante en marocain – ce qui est encore plus difficile à comprendre, même pour les arabophones – c'est donc vraiment agréable de constater qu'il est écouté en Europe et aux États-Unis. Ces artistes mélangent les cultures à leur manière et sont reconnus pour cela.»
C'est, bien sûr, exactement ce que fait Zineb Belrhiti avec Soundtracks to Puzzled Identities, qui a reçu des commentaires encourageants sur les réseaux sociaux. Un projet qui doit perdurer.
«Il s’agit de montrer que même si vous ne vous sentez vraiment chez vous nulle part, vous avez toujours de nombreuses cultures dont vous pouvez vous inspirer et tant de liens avec toutes ces cultures auxquelles vous avez été exposé», souligne-t-elle à propos de sa création. «Plutôt que de se sentir perdu ou triste, être influencé par différentes cultures est une très bonne chose.