BEYROUTH : Dimanche dernier, le président de la République Kaïs Saïed a démis le Premier ministre de ses fonctions, gelé les travaux du Parlement pendant un mois et déclaré qu'il se chargeait du pouvoir exécutif, dans un contexte de mécontentement croissant face à la crise économique et sanitaire.
Jeudi, dans la foulée, le président nomme un nouveau ministre de l’Intérieur, Ridha Gharsallaoui, première nomination majeure depuis qu'il a pris le pouvoir exécutif. M. Gharsallaoui est l’ancien conseiller de la sécurité nationale à la présidence.
Après ce coup de force, le président annonce lancer une offensive anticorruption, en réclamant des comptes à 460 hommes d'affaires accusés de détournement de fonds sous l'ère Ben Ali.
Ennahda en disgrâce, les ONG inquiètes
Membre de toutes les coalitions gouvernementales depuis la révolution de 2011, le mouvement islamiste Ennahdha, principal parti de l'Assemblée crie au "coup d'État". Mais après dix ans aux responsabilités, Ennahdha rencontre une hostilité croissante de la population. En effet, si le parti a été le plus puissant depuis la révolution, jouant un rôle dans le soutien des gouvernements de coalition successifs, il a perdu sa popularité à mesure que l'économie stagnait et que les services publics diminuaient.
Dans ce contexte de tension au sein du parti, des membres de haut rang d’Ennahdha ont appelé à la démission du chef du parti Rached Ghannouchi pour sa gestion de la crise, suite à quoi ce dernier a reporté samedi une réunion de haut-niveau de conseil.
De leur côté, plusieurs ONG internationales ont exprimé leur inquiétude quant au fait que le président Saïed “risque d’utiliser ses pouvoirs extraordinaires contres ses opposants”, après l'arrestation du député indépendant Yassine Ayari, très critique envers l'armée et le président tunisien. M. Ayari, déjà condamné plusieurs fois, avait qualifié le régime d'exception instauré par le président de "coup d'État militaire". Il bénéficiait auparavant de son immunité parlementaire. Mais le président tunisien, Kaïs Saïed a levé l'immunité des députés.
HRW s'inquiète également de l'arrestation de “quatre membres d'Ennahdha", accusés d'avoir cherché à "perpétrer des actes violents" devant le Parlement. Mais ceux-ci ont été relâchées sans faire l'objet de poursuite judiciaire.
Dans une tribune publiée par le New York Times, le chef d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a une nouvelle fois accusé le président Saïed d'avoir pris des mesures qui violent la Constitution, estimant que "ces décisions suivent un cahier des charges à même de mettre en place une dictature”.
« La voie de la démocratie »
Face aux craintes de certains Tunisiens d'un retour à la répression, dix ans après la révolution qui a provoqué la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali, M. Saïed a assuré qu'il n'y avait "pas de peur" à avoir concernant la liberté d'expression, affirmant qu'il "détest(ait) la dictature" et que les arrestations ne concernaient que des personnes déjà poursuivies par la justice.
La Tunisie doit rapidement retrouver la "voie de la démocratie", a déclaré samedi le conseiller à la sécurité nationale du président Joe Biden, Jake Sullivan au président tunisien, en faisant part de son soutien à "la démocratie tunisienne fondée sur les droits fondamentaux, des institutions fortes et un engagement en faveur de l'État de droit", selon un communiqué de la Maison Blanche.
De son côté, le ministre saoudien des Affaires étrangères a réitéré le soutien du Royaume à la sécurité et à la stabilité de la Tunisie lors d'une rencontre avec le président vendredi. Le prince Faisal ben Farhan a déclaré que le Royaume soutenait «tout ce qui contribue à la prospérité» de la Tunisie.