PARIS: La paralysie des négociations de Vienne au sujet du dossier nucléaire iranien et l’avènement de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi comme président de l’Iran ne vont pas dans le sens d’une amélioration de liens entre Paris et Téhéran. Au fil du temps, les espoirs de l’équipe d’Emmanuel Macron s’évaporent et les positions médianes de Paris risquent de ne pas être récompensées.
En lieu et place des progrès recherchés, c’est plutôt la méfiance qui gagne du terrain, car les sujets qui fâchent se multiplient: la condamnation par la France des violations iraniennes de l’accord de 2015, le dossier des otages français retenus en Iran, la question des droits de l’homme en Iran, et la réprobation par Téhéran de l’aide que Paris fournit à l’opposition iranienne.
Au moment où les négociations de Vienne reprenaient, au mois d’avril dernier, la France et les Occidentaux se sont accordés pour mettre en garde l’Iran contre le non-respect de plusieurs clauses de l’accord de 2015, le Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA) ou «Plan d’action global commun» (PAGC). Ces violations ont pour conséquence que Téhéran se rapproche du statut d’«État de seuil nucléaire» du fait de maîtrise du cycle de production et de la présence du combustible nécessaire. Aussi la diplomatie française voit-elle son pari ruiné après s’être tant investie pour tenter de sauver l’accord nucléaire, estimant qu’il représente le seul moyen d’empêcher l’Iran d’accéder à l’arme suprême.
La «déception» française croît car, malgré les avertissements tripartites français, britanniques et allemands, Téhéran refuse d’«obtempérer», pour reprendre le mot de l’un de ses négociateurs. En outre, sous l’impulsion du Guide suprême, Ali Khamenei, l’Iran rejette toute modification de l’accord de 2015. En particulier, il refuse toute négociation sur ses missiles balistiques et sur son ingérence dans les affaires régionales.
La déception d’Emmanuel Macron, le président français, ne constitue un fait ni nouveau ni étonnant si l’on observe l’histoire mouvementée des relations franco-iraniennes. Notons que, en dépit des nombreuses tentatives françaises qui ont échoué depuis l’arrivée de Macron à l'Élysée en 2017, ce dernier a gardé espoir et a notamment misé sur l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche pour relancer sa médiation dans le dossier nucléaire qui a failli aboutir au mois de septembre 2019. Alors qu’une rencontre avait été programmée avec l'ancien président américain Donald Trump, c’était le président iranien de l’époque, Hassan Rohani, qui s’était désisté au dernier moment à la demande du Guide suprême, Ali Khamenei – ce qui avait eu pour effet de saboter l’effort du président français.
Historiquement, la diplomatie française a été la première à s’inquiéter du programme nucléaire iranien après la guerre d’Irak en 2003. Elle a été à l'origine du lancement des négociations européennes avec Téhéran. Ces dernières ont ouvert la voie à des négociations selon la formule «5+1» qui ont abouti à l'accord de Vienne de 2015, avec quelques opportunités manquées, notamment en 2005, sous la présidence de Jacques Chirac.
Il faut rappeler que l’ayatollah Khomeini, le fondateur de la République Islamique d’Iran, considérait la France comme le «petit Satan» – oubliant qu'elle l'avait hébergé et s'était mis à la tête de la révolution pour renverser le shah. Puis, en guise de réponse au soutien de la France à l'Irak de Saddam Hussein dans la guerre avec l'Iran, Téhéran a «ordonné» que des Français soient enlevés et retenus comme otages au Liban, ou du moins «incité» à cette action, ainsi qu’au meurtre de soldats et de diplomates français au Liban et à des actes terroristes dans la capitale française.
Malgré des débuts difficiles, les relations ont repris avec l'arrivée de Mohammad Khatami à la présidence, en 1997. Mais la condamnation par Paris des thèses violentes de l’ex-président iranien Mahmoud Ahmadinejad et la rigueur dont a fait preuve la France, aussi bien sous la présidence de Sarkozy que sous l’ère Hollande-Fabius, dans les négociations sur le dossier nucléaire ont accru le fossé politique entre Paris et Téhéran. Le différend s’est en outre accentué en raison de vues divergentes sur le conflit syrien et sur la situation libanaise.
Malgré ses ramifications et ses contradictions, il y a historiquement et culturellement une vive admiration mutuelle entre les Français et les Perses, des grands poètes Hafez et Omar Khayyam aux Lettres persanes de Montesquieu jusqu'à l'époque de Henry Corbin et ses contributions à l’islam iranien. D’un point de vue politique, toutefois, l'ancienne Perse était une orbite russo-germano-anglo-saxonne, et la France y avait peu d'influence.
De nouvelles relations ont pourtant été initiées avec le nucléaire à l’époque du shah et se sont compliquées avec le dossier nucléaire iranien à l’époque de la République islamique. Paris craint, à juste titre, une prolifération plus large des armes de destruction massive dans une région qui est un véritable baril de poudre. En outre, Paris rejette des politiques iraniennes expansionnistes dans la région. Sans aucun doute, le projet iranien d'extension vers la Méditerranée était dans la ligne de mire française dans la mesure où il pouvait occasionner un conflit ouvert dans la région. Mais cette histoire lourde de liens bilatéraux fut dépassée par les décideurs français qui ont imaginé que, après l'accord de 2015, l’objectif serait de s’octroyer des parts du «gâteau iranien».
Cependant, l'ère Trump a douché les espoirs français et européens de bénéficier de l’Eldorado iranien. Elle a accru l'influence russe et chinoise sur ce pays situé entre deux mers – le Golfe et la mer Caspienne.
Ainsi, le renouvellement de relations entre Téhéran et Paris se trouve lié à l'évolution de la situation interne de l’Iran, aux troubles dans le Golfe et le Moyen-Orient et au dossier libanais. C'est pourquoi Macron a insisté, depuis 2018, pour jouer un rôle qui perpétue sa diplomatie de médiation. Au sujet du dossier nucléaire iranien ou de son initiative libanaise, Macron n'a toutefois enregistré aucun gain jusqu'à présent.
Le président français semble faire fi des écueils et il met l'accent sur la relation de dialogue avec l'Iran et le maintien de la sécurité régionale collective dans la région du Golfe, ce qui n'entre pas en contradiction avec l’objectif qui consiste à préserver les intérêts économiques et stratégiques français.
L'Iran ne considère pas Macron comme son ami, mais les milieux iraniens ne cachent pas la gratitude de Téhéran envers la France en vertu du fait que le président français s'est opposé à Trump au sujet de l'accord nucléaire.
Loin du langage des intérêts directs, et avec la volonté résolue exprimée par l'administration Biden de revenir à l'accord nucléaire, les cercles européens craignent l’effet boomerang de l’avènement d’Ebrahim Raïssi. Cette crainte se voit confirmée par le report sine die du septième round des négociations de Vienne, prévu le 4 juillet dernier. Voilà qui laisse entendre que la période transitoire de Téhéran connaît des tiraillements qui pourraient influencer le sort de négociations.
À l’heure actuelle, l’inquiétude européenne grandit avec la confirmation par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) de la décision iranienne de porter l’enrichissement de l’uranium à 60%. Plus grave encore, la non-reconduction de l’accord supplémentaire entre Téhéran et l’AIEA pourrait compliquer la suite des événements et rendre l’accord de 2015 caduc ou dépassé.
Entre-temps, les priorités de Washington se transfèrent vers l’Afghanistan, où s’effectue le retrait militaire américain. La France, elle, intensifie sa coordination avec l’administration Biden à propos du dossier libanais dans un sens contraire à l’intérêt iranien.
Sur un autre plan, les attaques contre les forces américaines en Irak et en Syrie menées par de milices assujetties à l’Iran ne faciliteront pas les négociations de Vienne et l’établissement d’un climat de confiance entre les protagonistes.
Pour l’heure, dans ce climat plutôt délétère, les relations franco-iraniennes se sont installées dans un cercle vicieux.