PONTOISE : Un jeune homme noir mort dans la cour d'une gendarmerie, trois nuits d'émeutes, des tirs sur les forces de l'ordre. La cour d'assises du Val-d'Oise juge à partir de lundi les violences urbaines qui ont éclaté après le décès d'Adama Traoré en juillet 2016.
Quatre hommes dont Bagui Traoré, donneur d'ordres présumé, sont accusés de tentatives de meurtre en bande organisée pour des tirs d'armes à feu au milieu des affrontements de rue qui ont suivi la mort de son frère Adama Traoré à la caserne de Persan, petite ville située à une trentaine de kilomètres au nord de Paris.
Dans ce dossier périphérique de cette affaire devenue une cause emblématique du combat contre les violences policières, la compagne de Bagui Traoré comparaît aussi devant la cour d'assises présidée par l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, pour complicité et subornation de témoin.
Les cinq accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité.
Face à eux durant trois semaines d'audience, près de 70 membres des forces de l'ordre se sont constitués parties civiles, certains blessés durant les nuits d'émeutes qui ont fait rage du 19 au 23 juillet 2016 dans les communes de Persan et Beaumont-sur-Oise.
Incarcéré depuis 2016, Bagui Traoré "est enfermé parce qu'il est le frère d'Adama. Quand on voit le dossier, il n'y a rien contre lui. Près de 80 parties civiles, c'est une mascarade !", a déclaré à l'AFP sa sœur Assa Traoré, qui témoignera à la barre.
Personnage central du procès, l'homme de 29 ans a déjà été condamné à de multiples reprises, notamment pour trafic de drogue et des faits de violence. Contactés par l'AFP, ses avocats Florian Lastelle et Frank Berton n'ont pas souhaité s'exprimer.
Selon l'accusation, il a organisé les attaques contre les forces de l'ordre après la mort de son frère, assisté par sa compagne. "Tout passait par Bagui", a affirmé lors d'un interrogatoire l'un des trois autres accusés, suspectés d'avoir fait usage d'armes à feu.
«Allumer comme des lapins
Le 19 juillet 2016, Adama Traoré, 24 ans, meurt près de deux heures après son arrestation au terme d'une course-poursuite, un jour de canicule.
Cinq ans après, des juges d'instruction tentent toujours de déterminer les causes précises de son décès et l'éventuelle responsabilité des gendarmes, pas mis en examen à ce stade.
Vers 22h00, dans un climat de tension extrême, le décès du jeune homme est annoncé à sa famille. La nouvelle met le feu aux poudres.
Des individus attaquent la gendarmerie et tentent d'y pénétrer de force. Face à la situation qui dégénère, de nombreux renforts sont dépêchés sur place. Les familles des gendarmes locaux sont évacuées en urgence, par crainte de représailles.
Dans le quartier de Beaumont-sur-Oise où réside la fratrie Traoré, des véhicules et poubelles sont incendiés. Les forces de l'ordre essuient des jets de parpaings, de bouteilles, de bidons d'essence.
Des coups de feu claquent, des gerbes de plomb s'écrasent sur les protections pare-balles des gendarmes.
Les affrontements sont d'une telle violence que des gendarmes, ayant identifié l'origine exacte de certains tirs, sollicitent même la permission de faire usage d'armes létales pour riposter. Autorisation refusée.
Appelé en renfort, le GIGN intervient avec des véhicules blindés et ramène le calme au petit matin. S'ensuivent deux autres nuits de troubles, mais d'une intensité moindre.
Durant l'enquête, les gendarmes feront part d'une "guérilla urbaine" d'un niveau de violence "inédit". "Je ne pensais pas qu'en France on pouvait se faire allumer comme des lapins", confiera un gradé ayant fait la guerre en Afghanistan.
"Rien ne justifie qu'on mette une ville à feu et à sang, qu'on tire sur les gendarmes, les policiers, des hommes et des femmes qui ont choisi d'être au service des citoyens et de la paix publique, pas de servir de cibles", a estimé auprès de l'AFP Caty Richard, une avocate de victimes.
Le verdict est attendu autour du 8 juillet.