BEYROUTH : Un «grave danger» guette le Liban, et il a besoin des pays amis pour le sauver, a affirmé mercredi le Premier ministre par intérim, Hassan Diab.
«Il vous faut sauvez le Liban aujourd’hui avant qu'il ne soit trop tard, car les regrets ne servent à rien», prévient Diab dans une allocution télévisée. Le Liban est en proie à une profonde crise financière, la plus grande menace pour sa stabilité depuis la guerre civile de 1975-1990.
Diab dirige le gouvernement par intérim depuis que son cabinet a démissionné à la suite de l'explosion du port de Beyrouth le 4 août, et qui a dévasté de grandes zones de la capitale, tué des centaines de personnes, en plus de blesser des milliers d’autres.
Le Premier ministre désigné Saad Al-Hariri s’affronte avec le président Michel Aoun au sujet de la nomination des ministres depuis dix mois, pendant que le pays fonce directement vers un effondrement économique. Un nouveau gouvernement capable d'introduire des réformes est nécessaire afin de débloquer l'aide étrangère, devenue indispensable.
«J'appelle les pôles politiques à faire des concessions, aussi petites soient-elles, afin d’alléger les souffrances des Libanais et éviter de s’engouffrer dans cette terrifiante voie», a annoncé Diab.
Dans ce système sectaire de partage du pouvoir, le président libanais doit être un chrétien maronite et le premier ministre un musulman sunnite. Le président Aoun est un chrétien, et un allié du parti chiite soutenu par l'Iran, le Hezbollah, désigné comme groupe terroriste par les États-Unis.
Hariri, un homme politique sunnite chevronné, estime que le seul moyen de sortir de la crise libanaise est de rétablir les relations avec ses voisins arabes.
Mercredi, le président Aoun et le Premier ministre désigné, Saad Hariri se sont livrés à une prise de bec, s'accusant mutuellement d'obstruction, de négligence et d'insolence. Cette guéguerre empêche depuis des mois la formation d'un nouvel exécutif alors que le pays se plonge de plus en plus dans une crise économique et financière.
La lutte pour le pouvoir entre Hariri d'un côté et Aoun et son gendre Gebran Bassil de l'autre, s'est aggravée malgré les avertissements des leaders mondiaux et des experts économiques sur les conditions économiques désastreuses auxquelles le petit pays est confronté. La Banque mondiale a averti mardi que la crise libanaise est l'une des pires que le monde ait connues au cours des 150 dernières années.
Reflétant l'agitation croissante, des dizaines de Libanais se sont précipités pour faire la file devant les distributeurs automatiques de billets mercredi soir, après que le Conseil d’État ait suspendu un décret de la Banque centrale qui leur permettait de retirer des dépôts en dollars à un taux deux fois et demie meilleur que le taux de change fixe.
La livre libanaise, indexée à 1 507 sur le dollar depuis 30 ans, est en chute libre depuis fin 2019. Elle s'échange désormais à près de 13 000 pour un dollar au marché noir.
Hariri blâme le président pour le retard de plusieurs mois, l'accusant d’insister pour détenir le tiers de blocage dans le prochain gouvernement.
Aoun, un allié du puissant groupe militant du Hezbollah, indique que Hariri ne s’est pas acquitté de ses responsabilités et n’a pas proposé de cabinet sur lequel ils pourraient s'entendre. Le président n’a aucun moyen de limoger le Premier ministre désigné, choisi par une majorité de députés.
Le conflit entre Aoun et Hariri a paralysé le pays à court d'argent, retardant les réformes urgentes. La crise économique, qui a éclaté en 2019, a été encore aggravée par l'impact de la pandémie du coronavirus sur le Liban ainsi que l'explosion massive dans le port de Beyrouth l'année dernière qui a tué plus de 200 personnes et endommagé une grande partie de la capitale.
La crise a en outre plongé plus de la moitié de la population dans la pauvreté, fait perdre plus de 85 % de la valeur à la monnaie locale et incité les banques à bloquer leurs dépôts par le biais de contrôles informels des capitaux.
Ces mesures ont sapé la confiance de la population dans un secteur bancaire autrefois prospère.
La plus haute juridiction administrative du pays a ordonné mardi la suspension temporaire d'une directive de la Banque centrale qui donnait aux déposants la possibilité de retirer des dollars à un taux meilleur que le taux fixe.
La Banque centrale a annoncé mercredi soir qu'elle accepte la décision, provoquant des files d'attente devant les guichets automatiques. Un homme avoue aller d'un guichet automatique à un autre pour retirer autant de dollar qu'il le pouvait. Un autre s'est plaint que les économies des gens sont à la merci de politiciens corrompus.
«Ce n'est pas de la ténacité (que d’endurer cette situation). Nous sommes devenus à ce point habitués à être humiliés et manipulés par les politiciens», se désole Mostafa Taoush, un jeune de 23 ans qui n'a pas réussi à retirer plus que la limite hebdomadaire imposée sur les retraits.
Un communiqué du bureau d'Aoun a accusé mercredi Hariri d'avoir tenté d'usurper les pouvoirs présidentiels et d'avoir fait des «propositions délirantes et des propos insolents».
«Que Premier ministre désigné esquive continuellement ses responsabilités constitue une violation flagrante de la constitution et de l'accord national», a-t-il ajouté.
De son côté, Hariri et son groupe politique, le Parti du Futur, ont réagi en affirmant que la présidence est devenue «l'otage des ambitions personnelles » de Bassil, le gendre d'Aoun, faisant allusion à ses prétendues aspirations présidentielles.
Les efforts de médiation de haut niveau de la France et d'acteurs puissants locaux, dont le président du parlement Nabih Berri et le chef de l'Église maronite Béchara Raï, sont restés lettre morte face à l'intransigeance des camps rivaux.
Au milieu d’échange de propos piquants entre Aoun et Hariri, le Premier ministre par intérim Hassan Diab a averti qu'un effondrement du Liban pourrait avoir des conséquences au-delà de ses frontières, faisant allusion à un possible exode massif de réfugiés.
Diab, dont le cabinet a démissionné quelques jours après l'explosion du port de Beyrouth, a appelé les politiciens à faire des concessions afin qu'un nouveau cabinet puisse être formé. Un cabinet qui puisse reprendre les pourparlers avec le Fonds monétaire international sur la façon de sortir de la crise.
«L'effondrement, s'il se produit, et Dieu nous en préserve, aura des conséquences très graves non seulement pour les Libanais ou ceux qui vivent ici, mais aussi pour les pays amis voisins proches de nos frontières terrestres ou maritimes» avertit Diab.
(Avec Reuters et l’AP)
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com