DJEDDAH: Le célèbre chef mafieux turc Sedat Peker a refait surface cette semaine dans une nouvelle vidéo où il accuse les dirigeants du pays d’être de mèche avec une agence paramilitaire qui envoie des armes à des groupes terroristes liés à Al-Qaïda en Syrie.
Dans une huitième vidéo publiée dimanche, il affirme que la Turquie aurait envoyé des armes aux djihadistes d’Al-Nosra en Syrie par l’intermédiaire d’un groupe paramilitaire, une «armée parallèle» d’après lui. Créée par un conseiller du président Recep Tayyip Erdogan, elle porterait le nom de SADAT .
Peker, qui entretenait dans le passé des relations étroites avec les dirigeants turcs, décrit en détail sa version de la collaboration entre les responsables turcs et Al-Nosra.
Le chef de la mafia, aujourd’hui en cavale, avait décidé en 2015 de dépêcher du matériel militaire aux combattants turkmènes de Syrie. Il aurait partagé son plan avec un député proche du gouvernement au pouvoir afin d'obtenir l'autorisation d'envoyer les camions.
«Ils ont dit: “Envoyons des camions supplémentaires en Syrie en plus de votre convoi d’aide”. Nous avons envoyé les nôtres en Syrie comme camions d’aide, puis nous avons posé pour des photos avec. Cependant, je croyais qu'ils avaient envoyé d'autres camions aux combattants turkmènes syriens», explique-t-il.
Les accusations ont déjà été portées par l'opposition devant le Parlement turc, mais aucun détail n'a été divulgué après les objections du gouvernement.
Ahmet Davutoglu, Premier ministre entre 2014 et 2016 et aujourd’hui chef du séparatiste Parti du futur, a été invité à fournir des comptes rendus sur les «irrégularités de corruption» en Syrie.
Peker indique que les camions ont été envoyés aux djihadistes par un groupe au sein de la SADAT.
La firme de conseil affirme être «la première et seule entreprise en Turquie à fournir des services de conseil et de formation militaire dans le secteur international de la défense et de la sécurité intérieure», selon son site Web.
La SADAT a été fondée en 2012 par un général à la retraite, ainsi que 23 officiers expulsés de l’armée turque en raison d'allégeances islamiques radicales.
L’entreprise paramilitaire entretient de liens étroits avec le gouvernement turc. Elle aurait joué un rôle dans le recrutement et la formation de djihadistes pendant les guerres civiles syrienne et libyenne.
«Ils ont détourné des camions d’aide vers les combattants turkmènes vers Al-Nusra sous mon nom, mais ce n’est pas moi qui les ai envoyés, c’est SADAT qui l’a fait. J'en ai été informé par l'un de nos amis turkmènes», a déclaré Peker.
Peker, dont les vidéos ont été visionnés par des millions d'utilisateurs sur YouTube, affirme que ses vidéos ont pour objectif de «se venger» du gouvernement turc. Il ciblerait en particulier le ministre de l'Intérieur Suleyman Soylu, qui a permis aux policiers de perquisitionner son domicile après sa rupture avec le régime.
Dans une vidéo précédente, le chef de la mafia accusait Erkan Yildirim, fils du Premier ministre turc Binali Yildirim et ancien chef de la police Mehmet Agar, d'avoir créé un réseau international de trafic de drogue qui implique la Turquie, la Colombie et le Venezuela.
La dernière vidéo est intitulée «Les jeunes arbres qui poussent dans la tempête ne peuvent être détruits par le vent»
«À présent, savez-vous ce dont vous avez besoin pour faire des affaires en Syrie?», demande Peker.
Selon lui, faire de «grandes affaires» en Syrie et générer des milliards de dollars nécessite non seulement l’autorisation du chef présidentiel des affaires administratives, Metin Kiratli, mais aussi celui des hommes d’affaires qui évoluent dans les cercles du pouvoir tels que Ramazan Ozturk et Murat Sancak, ou encore le chef dans les rangs d’Al-Nosra, Abou Abderrahman, responsable du financement des djihadistes.
Peker estime que la piste de l'argent ne pourrait jamais remonter jusqu'à l'État turc, car elle a été dissimulée par un «réseau corrompu», avec l'aide du ministre de l'Intérieur.
Le parrain dit s'être opposé à l'aide à Al-Nosra, parce que la faction affronte les minorités turkmènes en Syrie.
Al-Nosra se fait appeler aujourd’hui Hayat Tahrir Al-Cham, et contrôle la région des rebelles en Syrie.
Les liens présumés entre la Turquie et les djihadistes en Syrie ont déjà fait la une des journaux.
En décembre 2015, le président russe Vladimir Poutine a accusé Ankara d'avoir abattu un avion russe près de la frontière turque avec la Syrie, afin de protéger ses lignes d'approvisionnement en pétrole avec Daech. La Turquie nie toute implication dans l'incident.
Le ministre russe de la Défense a aussi accusé Erdogan et sa famille de prendre part au commerce illégal du pétrole.
«Quand vous faites une accusation, vous devez la prouver», avait répondu Erdogan.
Peker, une figure mafieuse haut placée depuis les années 1990, confie qu'il réside à Dubaï, mais qu’il se déplace régulièrement pour éviter d'être capturé par les autorités turques. Il a fui la Turquie l'année dernière pour échapper à une enquête criminelle.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com