DUBAÏ: Houmous shishito fumé, hamachi séché, mandarin et zaatar? Regardez-donc ça… Avec ces plats fusionnels et bien d'autres encore, un jeune chef franco-syrien, qui a dirigé l'un des restaurants les plus en vogue à Dubaï, est en train de tracer une voie révolutionnaire en cuisine.
Solemann Haddad, à peine âgé de 24 ans, est en train de façonner l'offre dans sa ville natale, en utilisant des produits régionaux locaux tels que le dukkah (un mélange de noix et d'épices), le zaatar (à base de thym) et la muhammara (une sauce à base de piment rouge), ainsi que des ingrédients tels que le shishito (un autre type de poivre) et le hamachi (un poisson japonais).
Son objectif est de fusionner des ingrédients traditionnels avec des techniques modernes.
Né et élevé aux Émirats arabes unis, la passion de Haddad pour la cuisine a débuté à l’âge de 4 ans, quand il volait le livre de cuisine de son frère, et s’enfermait dans la cuisine pour faire des biscuits et des omelettes avec l’aide de sa mère.
«C'était ma première expérience en cuisine», raconte-il à Arab News. «C'était comme concocter des potions, avec un résultat différent à chaque fois. J'ai trouvé ça très intéressant quand j’étais petit.»
Le chemin pour réaliser ses ambitions n'a pas été facile. Après avoir étudié les relations internationales à l'université, il s'est senti déçu et perdu.
«Je n'aimais pas du tout l'université, même si j'avais de bonnes notes», affirme Haddad. «J'avais des crises d’angoisse tous les soirs.»
Les conversations avec son père sur sa future profession de cuisinier ont conduit à une impasse. «Mon père et de nombreux hommes arabes de sa génération ne sont pas d’accord avec le fait qu'un homme puisse devenir chef», confie-t-il. «L'idée d'être chef était tellement irréaliste pour lui, mais c’est lié à la culture de la vieille école.»
Pourtant, Haddad n'était pas prêt à renoncer à sa vocation. Un jour, quatre semaines avant ses derniers examens universitaires, il a sauté le pas. Avec de l’argent de son père, il a embarqué sur le premier vol pour Londres, où il a séjourné chez un ami. «J'ai dit à mon père que je ne reviendrais pas tant qu'il n'aurait pas accepté le fait que j'allais devenir chef. Nous avons donc passé un accord tacite: il m'enverrait à l'école de cuisine, et je reviendrais pour achever l'université. Et c’est ce que j’ai fait.»
Haddad a fréquenté deux écoles culinaires cordon bleu au Japon et à Londres pendant dix mois, tout en jonglant avec des stages dans des restaurants étoilés Michelin. De retour à Dubaï, il a achevé en 2019 ses études universitaires, et a commencé à offrir un service de consultation à des restaurants, en donnant des conseils sur les menus et les ingrédients.
En travaillant dans un restaurant étoilé Michelin à Londres, il a eu la chance de goûter chaque plat pour enrichir davantage son apprentissage. C'est là qu'il a eu une révélation. «J'ai goûté un plat avec des champignons et je me suis dit: “Je n'ai jamais pensé que la nourriture pouvait avoir un goût aussi bon”», se souvient-il.
«C’est comme si je découvrais une nouvelle couleur. Puis, je me suis rendu compte de la gamme de possibilités qui existaient. J’ai ouvert les yeux, et cela a changé ma vision de la vie. Cela a été le moment le plus marquant de mes années d’études.»
De retour à Dubaï, Haddad a commencé à travailler pendant quelques mois comme sous-chef chez Inked, qui se définit elle-même comme une coopérative alimentaire et musicale. Pendant son séjour au restaurant, il a créé et servi 25 nouveaux plats par mois. Puis, en mars de l'année dernière, il a été licencié en raison de la pandémie de Covid-19.
Le confinement s’est ensuite imposé, avec six mois de repos forcé. «Je n’ai même pas cassé un œuf», explique-t-il. «J'ai pris des vacances parce que je travaillais intensément depuis trois ans, donc cela m'a forcé à me détendre.»
QUELQUES CHIFFRES
136 000-340 000 dollars - Coût moyen de l’ouverture d'un petit restaurant indépendant à Dubaï
Cette pause s'est avérée bénéfique, car le jeune chef a rapidement commencé à diffuser des vidéos de chez lui en direct sur Instagram, et à développer des recettes pour le plaisir. C'était pour lui une recherche et un développement indispensables.
Sa cuisine est résolument haut de gamme, et fait preuve d’une attention obsessionnelle aux détails. Elle s’enrichit d’une technique dérivée des expériences de Haddad au Japon, de ses racines au Liban, des fières traditions culinaires de la Syrie, et même des influences indiennes. Cette fusion est-elle personnifiée?
«Je dis toujours que ma vie est une fusion parce que je cuisine seulement ce que j'ai mangé en grandissant. Ma mère était française, donc je mangeais de la nourriture française, mais je mangeais aussi du chawarma avec mon père, et de la nourriture syrienne ou libanaise avec ma grand-mère», affirme le jeune chef.
«Ma vie ne s’est pas concentrée sur une cuisine fixe. Mes plats créés sont biologiques, et c'est ce qui me semble logique.»
Il a vécu sa prochaine expérience, lorsque Rami Farouk, le propriétaire de Maisan15, un restaurant et une galerie, lui a suggéré de devenir partenaire avec lui pour ouvrir un restaurant dans Alserkal Avenue, une galerie d'art branchée de Dubaï.
«Il n'y avait ni cuisine ni gaz. Je me disais que c'était un peu fou, mais plus j'y pensais, plus je voyais cela comme une opportunité et, en quelques heures, j'ai été convaincu», raconte Haddad.
En trente jours, une cuisine a été construite à partir de rien, et Warehouse16 a été lancé à la mi-septembre 2020.
«Tout s'est bien déroulé, et nous nous débrouillions très bien», assure-t-il. «Nous avons fait salle pleine du premier au dernier dîner.»
Au restaurant, Haddad a combiné des plats à base de kaiseki japonais – un dîner japonais traditionnel qui se compose de plusieurs plats – avec des ingrédients locaux du Moyen-Orient. Il attribue le succès de l’entreprise à Misbah Chowdhury, un ami d'enfance et associé chez Warehouse16, qui est également le directeur des opérations et du marketing des médias sociaux.
«Nous avons toujours été très agressifs sur les ventes et les réseaux sociaux», déclare Haddad. «De nombreux restaurants laissent les choses au hasard, mais cela nous a beaucoup aidé au début quand nous n'avions pas une clientèle fidèle.»
Haddad soutient qu'il est méticuleux dans la cuisine et la présentation. Il ne servira un plat que s'il a l’air bon et goûteux, consacrant ainsi 51% de ses efforts au goût, et 49% à la présentation, avec pour résultat des plats d’une vraie beauté artistique.
«La présentation et le goût sont presque aussi importants», affirme-t-il à Arab News.
Un tel état d'esprit s'est traduit par un véritable succès. Warehouse16 a généré le chiffre d’affaires qu’elle avait prévu sur un an en tout juste six mois. «Le chiffre est monté en flèche en cinq mois. Nous avons été très humbles et agréablement surpris», se félicite-t-il.
Malgré les aléas de l’économie, Dubaï abrite de nombreuses personnes prospères ayant de l'argent à dépenser. Un repas chez Haddad peut coûter jusqu’ à Dh400 ou Dh500 par personne (environ 35 à 45 euros), par exemple pour un menu de dégustation de sept plats.
Depuis cette ouverture réussie, toutefois, la pandémie est passée par là. Le restaurant a dû fermer en raison de complications liées à la licence découlant des nouvelles mesures pour lutter contre la Covid-19. En attendant la réouverture, Haddad organise un certain nombre de restaurants pop-ups à travers Dubaï.
«Mon but est soit d'ouvrir le meilleur restaurant du monde à Dubaï, soit de mourir en l’essayant», tranche-t-il. «Il n'y a pas de juste milieu.»
Il évoque les nombreux acteurs de l’industrie qui croient à tort que la scène culinaire de Dubaï se concentre uniquement sur les concepts internationaux de franchise, n’ayant aucune confiance dans la ville dans laquelle ils opèrent.
«Il y a tellement de potentiel (à Dubaï), en raison de l’inexistence d’une scène gastronomique. Elle est en développement, et c’est le moment d’en tirer profit. Le marché est vraiment récent.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com