BEYROUTH: Les appels pour le retour des Syriens du Liban dans leur pays sont devenus une question politisée profondément controversée dans la guerre civile qui dure depuis dix ans en Syrie, une question compliquée par la prochaine élection en Syrie.
Jeudi, des Libanais en colère ont battu des expatriés et des réfugiés syriens qui se rendaient à l'ambassade syrienne pour prendre part à la présidentielle mercredi prochain, en plus de jeter des pierres sur leurs véhicules, indignés par ce qu'ils estiment être un vote organisé pour soutenir Assad. Des rumeurs accusent le Hezbollah d’avoir organisé le transport des électeurs de tout le Liban jusqu'à l'ambassade.
Candidat pour un quatrième mandat, Assad se trouve confronté à la concurrence symbolique de deux autres candidats dans un vote qui est presque garanti de le voir continuer en tant que président.
L’opposition syrienne, ainsi que de nombreux pays occidentaux et arabes, considèrent que le scrutin est un simulacre destiné à donner une apparence de légitimité au règne d’Assad, en plus de violer les résolutions de l'ONU qui appellent à une nouvelle constitution préalablement à la présidentielle.
Le Liban accueille 865 531 réfugiés syriens enregistrés, et plusieurs centaines de milliers de Syriens résident au Liban avec leurs familles comme travailleurs journaliers ou saisonniers.
Parmi les Syriens au Liban figurent des partisans du régime et des pôles de l'opposition qui ont fui la guerre. Le pays, qui traverse une grave crise économique, demande aux réfugiés syriens de rentrer dans leur pays en raison du coût élevé de leur hébergement.
Les routes vers le quartier des ambassades à Yarzeh étaient encombrées de voitures et de bus bondés d'électeurs depuis jeudi matin. Beaucoup ont scandé des slogans en faveur d'Assad et de l'armée du régime, brandissant des drapeaux syriens et des photos du président, et confirmé aux médias, avant et après le scrutin, qu'ils comptent voter pour lui.
La scène a suscité la colère des Libanais. Des membres du parti des Forces libanaises se sont rendus sur l'autoroute côtière qui relie le nord du Liban à Beyrouth, et bloqué l’accès aux voitures qui affichent des photos d'Assad, des drapeaux syriens, ou des banderoles pour le Parti social nationaliste syrien (PSNS), allié du régime syrien, brisant les vitres des voitures et agressant leurs occupants.
«Ils sont fidèles à Assad, alors pourquoi sont-ils toujours au Liban en tant que réfugiés?», ont-ils demandé aux médias.
Des membres du parti des Forces libanaises estiment que les Syriens qui soutiennent encore Assad devraient voir leur statut de réfugié retiré.
Des scènes similaires se sont déroulées dans le quartier d’Achrafieh à Beyrouth, où des jeunes ont poursuivi une voiture qui arborait le drapeau syrien. L'armée libanaise est intervenue pour séparer les deux camps.
Mohsen Saleh Al-Ahmad, 54 ans, est décédé dans le bus qu’il a pris de Chtaura, dans la Bekaa, à l'ambassade. Selon les enquêtes préliminaires officielles, il a eu une crise cardiaque.
Depuis les événements de jeudi matin, l’armée a renforcé la sécurité dans et autour de l’ambassade de Syrie, située à proximité du Ministère de la défense et du commandement de l’armée, et sur les routes qui y mènent.
Mais de nouveaux affrontements ont éclaté dans l'après-midi, cette fois à l'initiative des Syriens, qui seraient descendu des bus sur la route côtière près de Nahr Al-Kalb. Ils ont attaqué les passants et jeté des pierres sur les voitures, blessant plusieurs personnes, dont des journalistes de la chaîne de télévision MTV.
Plusieurs politiciens libanais ont rapidement condamné les actions des électeurs syriens pro-Assad.
L’ancienne ministre May Chidiac affirme que ces derniers «prétendent être déplacés et demandent à la communauté internationale de les soutenir avec des dollars frais, alors qu’ils représentent un fardeau supplémentaire pour l’économie libanaise déjà épuisée! Aux portes de l'ambassade syrienne, ils chantent pour Bachar Assad. Puisque vous n'êtes pas menacés, retournez d'où vous venez».
Un autre ancien ministre, Richard Kouyoumdjian, a signalé: «Prêtez allégeance à Bashar Assad dans votre pays, pas dans le nôtre. Vous n’êtes que des opportunistes, non pas des personnes déplacées».
Toutefois, l'ancien député du Hezbollah Nawar Al-Sahili a décrit les attaques contre les électeurs syriens comme une manifestation de «racisme et de manque d'intégrité».
L'ambassadeur syrien au Liban, Ali Abdel Karim Ali, a soutenu que ces attaques étaient «douloureuses, et nous demandons aux autorités concernées de s’en occuper». Il a exhorté le Liban «à collaborer de manière à trouver des issues rapides pour le retour des Syriens dans leur pays».
Le diplomate syrien ajoute que le grand nombre d'électeurs «reflète le désir du peuple syrien de retourner vers une sécurité qu'il n'a pas trouvée en dehors de la Syrie».
Lisa Abou Khaled, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), a déclaré à Arab News que le «HCR a reçu des informations faisant état d'incidents impliquant des pressions, des menaces et du harcèlement à l’encontre des réfugiés syriens au Liban, et ce en relation avec la présidentielle syrienne. Les incidents signalés vont de la confiscation de documents à des menaces de blessures physiques».
Abou Khaled rappelle que «le vote est un choix personnel et n’est pas lié au statut de réfugié, ni au besoin de protection internationale d’une personne. Le vote n'entraînera pas la perte du statut de réfugié. Le HCR a reçu des informations faisant état d'intimidations et de pressions qui ont pu inciter un grand nombre de réfugiés à participer au vote».
«Le HCR est une organisation humanitaire apolitique et ne joue donc aucun rôle dans l’élection syrienne», poursuit-elle. «Cela dit, si et quand des incidents de menaces et de pressions sont signalés par des réfugiés, nous travaillerons avec les parties prenantes concernées au Liban afin de garantir que les réfugiés continuent d'être protégés au Liban».
Tous les réfugiés syriens au Liban n'ont pas exercé leur droit de vote. Abou Ahmad, un superviseur de camp dans un camp de réfugiés à Arsal, a déclaré à Arab News que «la plupart des gens ne sont pas intéressés. Il y en a peut-être qui ont voté à l'ambassade, mais ils ne représentent sûrement pas une conviction collective. Les réfugiés sont frustrés et ne peuvent oublier leurs souffrances et les horreurs qu'ils ont vécues dans le déplacement. Qu'est-ce qui a changé maintenant? Comment Assad peut-il être réélu? Sur quelle base? Les gens espéraient un changement, mais ce qui se passe, c'est le polissage de l'image de Bashar Assad devant la communauté internationale ».
«Garder mes forces aujourd'hui est plus bénéfique que de perdre mon temps devant les urnes. Ici, je me sens en sécurité, même si je suis sans domicile fixe».
Le ministre par intérim des Affaires sociales et du Tourisme, Ramzi Moucharrafieh, qui s'est rendu en Syrie il y a quelques semaines et a discuté du retour des réfugiés, a dénoncé «toutes les violations injustifiées qui ont eu lieu», en tranchant que «la protection des électeurs syriens est notre priorité».
L'ancien député Khaled Al-Daher, qui a été un grand défenseur des réfugiés syriens au Liban dans le passé, a prévenu jeudi que «quiconque veut élire Bashar Assad parmi les réfugiés au Liban n'aura pas le statut de réfugié et doit quitter les territoires Libanais parce qu'il n'a aucun problème avec le régime syrien, à moins qu’il ne se trouve au Liban à des fins spécifiques».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com