CASABLANCA: Née en 1958 à Hammana, un village situé dans les montagnes libanaises, Hoda Aouad-Sharkey s’installe avec sa famille à Beyrouth en 1966 où elle vit en harmonie entre mixité, vitalité et richesse culturelle. En 1975, la guerre civile éclate. La jeune femme décide de se rendre utile en venant en aide aux victimes blessées durant ce conflit. Elle s’engage comme secouriste à la Croix-Rouge.
Hoda Aouad-Sharkey quitte son pays en 1983 pour la France, elle s’y reconstruit peu à peu en écrivant une nouvelle histoire. Son amour intarissable des mots, son regard à fleur de vérité sur l’interprétation d’un conflit qu’elle a vécu et son inclination pour l’humain la mènent à l’écriture de Robes de soi, paru ce mois-ci en France aux éditions Auteurs du Monde. Rencontre avec Arab News en français.
Quelle est la genèse de Robes de soi?
C’est un vieux désir de décrire la guerre de l’intérieur, le récit intime de la guerre et non les faits spectaculaires et choquants. Je voulais ainsi rendre notre vécu plus accessible aux personnes qui n’en ont pas fait l’expérience.
D’anciens vêtements redécouverts dans une valise ont-ils été le déclic pour entamer Robes de soi ? Que vous rappellent ces vêtements, comme cette robe en lambeaux, votre robe champêtre ou encore cette croix rouge sur un brassard blanc…?
Les robes et la valise sont des métaphores pour décrire les étapes de ma vie au Liban pendant la guerre. Je me suis inspirée du conte de Peau d’Âne qui quitte le royaume de son père avec trois robes: l’une couleur du Soleil, l’autre couleur de la Lune et la troisième, couleur du temps. Chaque exilé emporte avec lui, le jour de son départ, les habits couleur de son pays dans une coquille de noix. Certains les oublient, d’autres les ressortent de temps en temps, personnellement, j’ai décidé de me les réapproprier en les donnant à voir à ceux qui ne les connaissaient pas: les amis auxquels je me suis liée depuis mon arrivée en France et la famille que j’y ai fondée.
J’aime beaucoup ma robe en patchwork, qui évoque Beyrouth dans sa diversité, ainsi que la robe champêtre qui parle de notre maison familiale à Toula, nichée dans la montagne. La croix rouge sur un brassard blanc évoque mon expérience avec la Croix-Rouge au début de la guerre civile; quant à la robe en lambeaux, elle parle de l’effritement du pays.
A-t-il été difficile de revenir sur les traces de votre passé et de convoquer vos souvenirs liés à la guerre civile qui a déchiré le Liban?
Cela a été plus long que difficile. Il fallait trouver la forme, les mots, choisir au fil de ce que j’ai écrit, ce que je voulais garder ou pas. Le reste était enfoui en moi et ne demandait qu’à se dire.
Vous avez construit une nouvelle vie en France. En tant que mère, que retenez-vous des combats menés en tant que jeune femme contrainte de quitter son pays en conflit?
Ayant vécu la guerre, j’ai essayé d’élever mes enfants dans le respect des différences et de la liberté de chacun. Je ne leur ai pas trop parlé de la guerre. Ils ne comprenaient pas pourquoi j’étais parfois tendue au Liban, ce pays qu’ils adoraient et dans lequel ils aimaient se rendre. En 2006, nous sommes arrivés à Beyrouth, la veille du conflit entre le Hezbollah et Israël et nous avons été pris entre deux feux. Nous avons été évacués au bout de dix jours par la Royal Navy (mon mari est britannique): hélicoptère, porte-avion, puis à nouveau en hélicoptère jusqu’à Limassol et ensuite en avion jusqu’à Manchester, avant d’en prendre un autre de Manchester à Roissy. Et nous avons laissé derrière nous, ma famille et le pays dans une situation plus qu’inquiétante. Cela n’a pas empêché ma fille d’aller y faire une année d’études à l’université Saint-Joseph de Beyrouth, ni mon fils cadet de découvrir le pays par lui-même, en faisant un stage à L’Orient-Le Jour.
Quel regard portez-vous sur le Liban d’aujourd’hui, entre crise politique et économique et une jeunesse pleine d’espoir et d’aspirations?
J’ai suivi de très près le soulèvement populaire, la «Thaoura» («révolution») comme l’appellent les Libanais. J’ai admiré la chaîne humaine composée de jeunes de toutes confessions. Je ne me fais pas beaucoup d’illusion sur la capacité du gouvernement actuel ni de ceux qui l’ont mis en place, dénués d’écoute quant aux revendications des jeunes. Que dire d’un gouvernement qui n’écoute pas son peuple et qui est mis en place par un parti armé qui bloque toute évolution dans un pays?
Comment avez-vous appris l’explosion au port de Beyrouth de 2020, quel a été votre sentiment à cet instant précis et qu’est-ce que cet événement vous a rappelé?
J’étais en vacances en Normandie et j’ai appris l’explosion de Beyrouth dans un restaurant situé face à la mer. C’était beau et paisible autour de moi alors que j’étais sidérée, effrayée, consternée, en colère, inquiète, envahie d’images insupportables… comme tous les Libanais à l’étranger. Pour ceux de ma génération, qui ont vécu la guerre civile, c’était cauchemardesque, un retour à des traumatismes qui nous ont marqués et dont on a mis des années à se remettre.