Avec une touche résolument moderne, une pratique artistique inspirée de l’évolution du monde et ses projets ambitieux, Hamza Bounoua est l’un des artistes algériens les plus demandés sur la scène culturelle internationale. Dans cet entretien, il revient sur son projet « Hourouf El-Jenna », réalisé pendant le confinement, la politique culturelle en Algérie et l’ouverture prochaine de l’espace Diwaniyah.
Liberté : Il y a quelques semaines, les rues et ruelles d’Alger-Centre ont été le théâtre d’une performance artistique intitulée « Hourouf El-Jenna », basée sur la calligraphie et la photographie. Pouvez-vous nous en parler ?
Hamza Bounoua : Cette idée vient en réaction à la situation de confinement qui a bouleversé le monde. Cette épidémie a conduit à l’arrêt de la plupart des activités, notamment culturelles et artistiques. Le but de mon projet « Hourouf El-Jenna, Letters of Paradise » est de faire ranimer, à mon niveau, la culture. J’ai voulu faire redécouvrir la capitale depuis une perspective différente. J’ai erré de nuit pendant les heures du couvre-feu entre les rues et les places d’Alger.
Le but de ces lettres de lumière est d’envoyer un peu d’espoir au cœur du peuple algérien en particulier et à toute l’humanité en général car, malgré toute cette tragédie, il existe un rayon de lumière qui nous annonce un avenir meilleur. La crise a une fin, tout comme la symbolique de la lumière qui signifie un nouveau départ.
Pour ce qui est de la technique utilisée, il s’agit de lignes optiques, une technique photographique contemporaine qui permet le passage lent de la lumière à travers une lentille de caméra qui peut enregistrer le mouvement que prend cette dernière dans le vide.
Ces images apportent un peu de spiritualité dans le lieu, car ces mouvements légers peuvent se transformer en véritables œuvres sur le terrain. Je crois que l’artiste doit interagir avec le contexte actuel, développer des idées qui vont au-delà des pratiques traditionnelles et ne surtout pas rester confiné dans son atelier. Malgré la crise sécuritaire, puis les changements politiques allant jusqu’au mouvement populaire de 2019 et la crise sanitaire actuelle, nous n’avons pas produit d’œuvres au cours de ces différentes étapes afin de laisser une trace aux générations futures, que ce soit au niveau des musées publics ou des collections privées.
Personnellement, je suis très intéressé par le concept et la pensée dans mon art, car il n’est pas figé, et cela me donne l’occasion de me concentrer sur les problèmes actuels et de développer librement beaucoup d’idées selon les circonstances. Par ailleurs, mon projet promeut également l’aspect culturel d’Alger et ses monuments, à travers les réseaux sociaux et les sites d’exposition internationaux spécialisés dans les expositions virtuelles. Il fera en outre l’objet d’une publication en collaboration avec le poète égyptien Jamal Bakhit où j’écrirai plusieurs lignes de ses vers en utilisant la même technique.
Quel est le sens de cette calligraphie à laquelle vous donnez un élan esthétique moderniste ?
Tout d’abord, j’aimerais clarifier quelque chose d’important : nous devons distinguer le terme « modernité » qui représente des mouvements philosophiques et artistiques nés de vastes transformations de la société occidentale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Ce mouvement reflète la volonté de créer de nouvelles formes d’art, de religion, de philosophie et d’organisation sociale qui représentent le monde industriel émergent avec son urbanisation et ses nouvelles technologies, c’est pourquoi les artistes ont essayé de s’éloigner des formes d’art traditionnelles ; voici donc ce que le modernisme est dans un sens. Ma calligraphie est contemporaine en termes de conceptualisation et de techniques. Ma peinture, quant à elle, est contemporaine et éclectique en termes de technicité et de sens, contrairement au modernisme.
L’art contemporain me donne le moyen de réfléchir et de rechercher un nouveau langage qui corresponde à la réalité changeante et à la rupture de toutes les normes et restrictions. Dans mes peintures, il n’y a pas de but ou de point de vue unique, il est hétérogène, comme dans le monde contemporain, à une époque où l’individu peut avoir l’impression qu’il n’y a pas de restrictions esthétiques ou éthiques dans l’expression universelle.
Quel a été le processus de réalisation de ces tableaux « éphémères » ?
Au début, nous avons présenté ce projet à caractère gratuit et humanitaire à la municipalité d’Alger-Centre, qui nous a facilité le travail pendant les heures de confinement. Au préalable, nous avions bien sûr localisé les endroits adéquats qui portent un caractère esthétique et historique. Nous avions également choisi des rues très fréquentées d’ordinaire, afin de mettre en relief le contraste entre les jours d’affluence et les conséquences du confinement sanitaire qui nous a isolés.
Juste avant le confinement, vous deviez inaugurer l’espace artistique Diwaniyah. Quel est la suite de ce projet et des expos qui y prendront place ?
Diwaniyah est une nouvelle galerie d’art située à Bouchaoui (Alger). Sa particularité est d’accueillir des artistes algériens mais aussi du monde arabe. Notre objectif est d’être un projet pionnier qui vise à faire bouger la dynamique du marché des arts en Algérie, renforcer le mouvement artistique et contribuer à donner à notre pays une place centrale dans la région. Nous visons également à soutenir les jeunes talents en faisant la promotion de leur art à plus grande échelle.
Parmi les collaborateurs de ce projet, je cite Mouloud Amroun, coordinateur de la galerie en Algérie, et Roumayssa Menina, coordinatrice de la galerie à Londres. Mon travail consistera à mettre en contact ces jeunes et les acteurs du monde de l’art ainsi que le financement direct de leurs projets. Nous envisageons d’ouvrir la galerie en septembre avec l’exposition « Masarat », si la situation sanitaire le permet. Elle se déroulera sous forme de journées portes ouvertes. Cette expo proposera une variété d’œuvres d’art du monde arabe et islamique. Je cite celles de Baya Mahieddine, Thilleli Rahmoun, Rachida Azdaou, Lulwah al-Homoud d’Arabie Saoudite, Mohammad al-Ameri de Jordanie, Rashid Diab du Soudan, Mohamed Ibrahim Elmasry - Mohamed Abou el-Naga d’Égypte, Ghada Zoughby du Liban, Shadi Talaei d’Iran.
Aussi, quand je parle d’art islamique je parle de son côté contemporain. Il ne s’agira pas de miniatures et de calligraphie arabe. Diwaniyah sera ouverte aux artistes qui ont une vision nouvelle des arts islamiques et qui pourront traiter des problèmes actuels dans le monde islamique. L’art et la culture devraient être une véritable force contre le radicalisme religieux, l’ignorance et l’intolérance sous toutes ses formes, notamment en Algérie.
Vous êtes très actif dans les pays du Golfe où vous êtes établi et où vous exposez régulièrement. Quel a été l’apport de cet « exil artistique » à votre carrière ?
Je me suis installé au Koweït en 2003, après une expérience au Brésil, au Canada et à Beyrouth. La diversité des nationalités m’a appris beaucoup de choses. Pendant trois ans, j’ai été le directeur de la galerie Funoon Jamila et j’ai créé de nombreux projets. Cet espace avait pour but d’attirer des artistes des États-Unis, de Grande-Bretagne et de France pour les introduire au Koweït. Tout cela m’a aidé en ce qui concerne la gestion et la commercialisation de mes œuvres et celles des autres. Après la création de mon propre atelier, début 2007, j’ai exposé un peu partout dans le monde. Je pense que le Moyen-Orient m’a donné une réelle inspiration pour développer mon travail, d’autant plus que j’étais en contact direct avec de grands artistes arabes, tels que Dia al-Azzawi, Muhammad Omar Khalil et Omar Najdi. Je pense que les artistes algériens doivent changer de direction artistique. Depuis l’indépendance, l’artiste algérien a tendance à se diriger vers la France pour exposer sans réel intérêt, et cette destination ne leur a pas offert de grandes opportunités, exception faite à quelques-uns qui ont pu se faire un nom. À mon avis, le marché de l’art n’est plus à Paris ni en Italie, mais s’est déplacé vers d’autres régions comme la Chine, Dubaï, Singapour, New York, la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Le Moyen-Orient est le centre des événements internationaux, car tout le monde s’y rend, que ce soit pour le travail ou le tourisme, tout comme les États du Golfe qui ont été créés avec un effort culturel incroyable en faveur des artistes et de la construction de musées publics, en particulier le musée du Louvre et le musée Guggenheim d’Abu Dhabi, qui ouvrira en 2022. En Algérie, on n’aime pas être comparé aux pays du Golfe. Pourtant, l’Algérie a dépensé beaucoup d’argent dans le domaine de la culture, peut-être plus que les États du Golfe. Mais notre problème réside dans les stratégies culturelles.