KINSHASA: L'«état de siège» annoncé en République démocratique du Congo dans deux provinces de l'Est, pour lutter contre les massacres de civils par des groupes armés, suscite espoirs et inquiétudes dans un pays où une partie de l'armée régulière est accusée d'affairisme et de violations des droit humains.
Le président Félix Tshisekedi doit encore détailler par ordonnance les modalités de cette sorte de loi martiale qu'il a annoncée vendredi pour le Nord-Kivu et l'Ituri.
Dans ces deux provinces riches en minerais, les groupes armés tuent des civils par centaines, provoquant des fuites de population (plus d'un million de déplacés en Ituri, d'après le plaidoyer du Haut commissariat aux réfugiés de l'ONU).
La proclamation de l'état de siège pourrait conduire à un transfert du pouvoir civil aux militaires dans les deux provinces, avait suggéré lundi le Premier ministre Sama Lukonde.
L'actuel gouverneur du Nord-Kivu, Carly Kasivita, a «remercié» le chef de l'Etat pour sa décision qui «répond à nos attentes».
«Je n’ai cessé de le répéter qu’à partir de Beni, le pays était attaqué par les ADF», a-t-il déclaré samedi à la presse locale.
Epicentre des violences à l'Est, le territoire de Beni à la frontière de l'Ouganda est le fief du groupe armé des Forces démocratiques alliées (ADF), accusé du massacre de milliers de civils depuis 2014.
A l'origine des rebelles musulmans ougandais, les ADF sont une organisation «terroriste» affiliée à l'Organisation état islamique, ont récemment décrété les Etats-Unis.
Samedi soir à Beni, un responsable musulman, le cheikh Ali Amin, a été tué par «des bandits» qui «ont tiré sur lui» dans la principale mosquée de la ville «pendant la prière du soir» en plein mois de ramadan, a indiqué un officiel, Aloise Mbwarara. Le cheikh avait pris position contre les ADF.
Au total, 122 groupes armés sont encore actifs dans l'Est de la RDC, estime le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST).
L'Association congolaise pour l'accès à la justice (Acaj) «salue» également l'annonce du chef de l'Etat mais «demande au Parlement d’adopter» en urgence une loi «pour prévenir des abus» liés à l'état de siège.
L'armée doit être «irréprochable»
«Si l'armée doit avoir plus de pouvoir, elle doit être irréprochable!», prévient aussi le mouvement citoyen Lutte pour le changement (Lucha).
Ce n'est pas le cas. Dans son dernier rapport mensuel, le bureau conjoint des Nations unies des droits de l'homme (BCNUDH) a enregistré «une augmentation de 32%» des atteintes aux droits de l'homme en mars par rapport à février (655 au total).
«Cette augmentation s'explique par une forte hausse (+127%) du nombre de violations attribuables à des militaires», selon le BCNUDH.
«La population sait qu'elle a une armée avec des gens qui se sacrifient mais parmi ces gens-là, il y a des affairistes, qui font du commerce des véhicules, de l'or, du bois, du cacao», rappelle un notable du Nord-Kivu, Simon Kazungu.
Avant la mise en oeuvre de l'«état de siège», «il faut d'abord mettre de côté des militaires qui commettent des violations des droits de l'homme et participent à l'affairisme économique», résume Bienvenu Matumo, universitaire et membre de la Lucha, joint par l'AFP.
A mots plus ou moins couverts, des officiels sont accusés de duplicité avec les groupes armés dans l'Est du pays.
«Quittez les groupes armés», a lancé fin mars le président de l'Assemblée à des députés de l'Est.
L'«état de siège» risque de faire reculer les droits humains dans les zones concernées, s'inquiètent des observateurs.
«Ca risque de devenir un casse-tête pour les Nations unies», avance l'un d'eux. Allusion à la présence des Casques bleus de la Mission des Nations unies au Nord-Kivu et en Ituri, qui ont pour mission première la protection des civils, et qui peuvent être amenés à conduire des «opérations conjointes» avec l'armée congolaise.
Ce n'est pas le premier effet d'annonce du président Tshisekedi face à l'insécurité dans l'Est. Le chef de l'Etat a déjà annoncé deux «opérations militaires d'envergure», en territoire de Beni en novembre 2019 et en Ituri en juillet 2019.
A Beni, l'offensive de l'armée contre les bases des ADF s'est soldée par des représailles sanglantes des ADF sur les civils (plus de 1 000 personnes massacrées depuis novembre 2019).
L'annonce de l'«état de siège» a été faite vendredi lors du premier Conseil des ministres depuis l'investiture du nouveau gouvernement lundi.
Le président Tshisekedi est en position de force sur le plan interne, après avoir renversé en sa faveur au Parlement la majorité autrefois fidèle à son prédécesseur Joseph Kabila.
Soutenu par les Etats-Unis, le président congolais a demandé mardi à la France de l'aide dans sa lutte contre les ADF.