PARIS: L'Oscar remporté par un court documentaire tourné entre le Nord de la France et l'Allemagne, sur une ancienne résistante française qui rend hommage à son frère mort en camp de concentration, met en lumière les passeurs de mémoire.
"Colette", récompensé d'un Oscar dans la catégorie "court-métrage documentaire", est un film d'une vingtaine de minutes, diffusé par le quotidien britannique The Guardian, réalisé par l'Américain Anthony Giacchino et produit notamment par la Française Alice Doyard.
Le film est disponible sur YouTube où il dépassait lundi les 200 000 vues.
On y suit Colette, une ancienne résistante, qui va honorer la mémoire de son frère Jean-Pierre, mort à 17 ans au camp de concentration et d'extermination par le travail de Mittelbau-Dora, près de Nordhausen (Allemagne). Quelque 60 000 personnes y ont été détenues et forcées de travailler pour l'industrie nazie d'armement, qui y met au point ses fusées "V2". Un prisonnier sur trois décèdera.
"Cette récompense et ce film", a salué Alice Doyard en recevant son prix, "sont un hommage aux femmes de tous âges, partout dans le monde, qui se donnent la main et se battent pour la justice. Vive Colette et vive la France!".
Elle a reçu un "grand bravo" du président français Emmanuel Macron, saluant aussi les deux autres lauréats français de la soirée: Florian Zeller pour "The Father" et l’ingénieur du son Nicolas Becker pour "Sound of Metal".
Une bague en cadeau
Au-delà du voyage de mémoire, le film montre la naissance d'une relation entre Colette Marin-Catherine, débordante de vitalité à 90 ans, et une jeune passionnée d'histoire, Lucie Fouble, 17 ans, qui va l'accompagner.
Avant le tournage, Colette avait toujours refusé d'aller en Allemagne. "Le tourisme morbide, ça ne m'intéresse pas", lâche-t-elle à la caméra.
Mais elle se laissera convaincre de partir avec cette bénévole de la Coupole de Saint-Omer, bunker qui devait servir au lancement des V2 sur Londres, devenu un lieu de mémoire de la Seconde guerre mondiale dans le Pas-de-Calais (Nord de la France. Lucie est l'une des petites mains qui y documente le parcours de 9 000 déportés à Dora depuis la France.
Depuis son appartement de Caen, en Normandie (Nord), jusqu'aux souterrains où s'effectuait le travail forcé et à l'endroit de la mort de son frère, la caméra capte à vif l'émotion de Colette, qui découvre "un cauchemar, l'enfer, Dante sur terre". Elle culmine lorsque la vieille dame remet à l'adolescente une bague artisanale, dernier souvenir qu'elle garde de son frère.
"Chape de plomb"
"Ce film qui symbolise la transmission, m'a permis de rencontrer une ancienne résistante, mais ça ne s'est pas arrêté là. Nous avons un lien sentimental, comme une petite-fille et sa grand-mère", explique à l'AFP Lucie Fouble.
Pour l'équipe de chercheurs et de bénévoles dont cette élève de classe préparatoire qui veut devenir historienne fait partie, l'Oscar attribué au film pourra apporter un coup de projecteur bienvenu sur leur travail de fond et de l'ombre.
"Je suis heureuse que ce film ait été primé aux Etats-Unis, et vu là-bas, alors qu'après la guerre, les Américains ont récupéré (l'ingénieur nazi Werner) Von Braun", spécialiste des V2, pour le faire travailler sur leur programme spatial. "Les Américains ont voulu effacer l'histoire du camp de Dora et le passé nazi de Von Braun, et ce film permet d'en reparler", ajoute Lucie Fouble.
"Ce film est un moyen magnifique d'intéresser un public plus jeune", abonde l'historien Laurent Thiery, qui dirige les recherches à la Coupole sur les déportés à Mittelbau-Dora, et a publié un livre-somme de 2 500 pages pour tirer de l'oubli les vies brisées de ces résistants.
Au-delà de l'Oscar et du parcours tragique de Jean-Pierre Catherine, remettre en contexte et soulever la "chape de plomb qui a longtemps entouré" ce camp de Dora reste un travail à poursuivre, souligne-t-il.