PARIS: Les laboratoires Servier peuvent-ils éviter une condamnation ? Et qu'en sera-t-il pour l'Agence de sécurité du médicament ? Plus de dix ans après l'un des plus grands scandales sanitaires français, le tribunal correctionnel de Paris rend son jugement lundi dans l'affaire du Mediator.
C'est un procès hors-norme qui va se conclure : les débats ont démarré en septembre 2019 pour s'achever en juillet 2020, après une suspension lors du premier confinement contre le coronavirus. Le tribunal a planché sur le délibéré pendant neuf mois. Plus de 6 500 personnes sont constituées parties civiles.
Irène Frachon, la pneumologue de Brest qui a révélé le scandale en 2010, sera présente lundi.
« J'attends que le tribunal nous donne une autopsie d'un drame sanitaire. Pendant le procès, on a tout détaillé depuis les années 60. C'est une occasion unique », dit-elle. « J'espère que le tribunal nous donnera les clés pour comprendre comment une telle tromperie a pu tenir aussi longtemps ».
La question a été au cœur des débats : comment ce médicament, présenté comme un antidiabétique mais largement détourné comme coupe-faim, a-t-il pu être prescrit pendant trente-trois ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité ?
Utilisé par environ 5 millions de personnes, remboursé par la Sécurité sociale au taux maximal de 65%, il n'a été retiré du marché qu'en novembre 2009.
Pourtant, les premières alertes sur sa dangerosité ont été émises dès 1995 et les premiers cas de graves maladies cardiaques signalés en France en 1999. Le Mediator est tenu pour responsable de centaines de décès.
« Extrême gravité »
Lors des réquisitions prononcées en juin, le parquet a appelé le tribunal à sanctionner des fautes d'une « extrême gravité ».
Environ 10 millions d'euros d'amende - la peine maximale - ont été requis contre six sociétés du groupe Servier poursuivies pour « tromperie aggravée », « escroquerie » et « homicides et blessures involontaires ».
La société Servier, deuxième groupe pharmaceutique français, « a fait délibérément le choix, cynique, de ne pas prendre en compte les risques qu'elle ne pouvait ignorer » et a « fait le sinistre pari que ces risques seraient minimes en termes de patients atteints », a vilipendé la procureure.
Les laboratoires « n'ont pas identifié un signal de risque significatif avant 2009 », a redit à l'approche du jugement un des avocats des laboratoires, François de Castro. Une phrase martelée lors des débats.
Le parquet a en outre requis cinq ans de prison dont trois ferme et 200 000 euros d'amende contre Jean-Philippe Seta, l'ex-bras droit de Jacques Servier, le tout-puissant patron-fondateur des laboratoires, décédé en 2014.
Au procès, il avait présenté ses excuses. « Il est clair que nous avons commis des erreurs », avait-il admis.
A l'encontre de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), poursuivie pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator, l'accusation a demandé une amende de 200 000 euros. Pour la procureure, elle a « gravement failli dans sa mission de police sanitaire ».
« Retentissement financier »
L'ANSM n'a pas demandé la relaxe et a assumé à l'audience une « part de responsabilité » dans le « drame humain » du Mediator.
A la barre, des victimes sont venues raconter leur vie après le Mediator, pour beaucoup des femmes qui voulaient perdre du poids. Trop fatiguées, essoufflées, la plupart ont dû témoigner assises.
Parmi elles, Stéphanie qui a pris du Mediator entre 2006 et 2009. « On disait que ce médicament était extraordinaire. J'ai perdu 10 kilos le premier mois ». Mais fin 2009, elle a appris qu'elle souffrait de valvulopathie, une lésion des valves cardiaques.
Les parties civiles, qui espèrent un « jugement exemplaire », ont réclamé au total « un milliard » d'euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, dont plus de 450 millions pour les seules caisses d'assurance maladie qui ont pris en charge le remboursement du Mediator et s'estiment victimes d' « escroquerie ».
« Il est essentiel que la décision de lundi ait un retentissement financier suffisant pour que les laboratoires Servier et les autres opérateurs économiques cessent leurs pratiques inacceptables », a déclaré un autre avocat de parties civiles, Me Charles Joseph-Oudin.
Le montant total des amendes requises à l'encontre des laboratoires Servier représente pour le groupe, rappelle l'avocat, « environ deux jours de chiffres d'affaires aujourd’hui ».