MAKRAMPUR : Le Bengale occidental, Etat de 90 millions d'habitants, est le sanglant champ de bataille de la politique indienne où le Premier ministre Narendra Modi pèse de tout son poids pour ravir le pouvoir à "Didi", l'une de ses plus farouches adversaires à l'occasion des élections qui débutent samedi.
Emporter l'élection sur Mamata Banerjee, dite "Didi" ("grande sœur"), à la tête de l'Etat depuis 2011, constituerait un succès majeur pour le parti nationaliste hindou de M. Modi (BJP), deux ans après sa victoire écrasante aux élections nationales pour un second mandat alors qu'il entend augmenter le nombre de régions qu'il gouverne, actuellement 17 sur 36.
D'autres élections régionales auront lieu dans les prochaines semaines, notamment dans l'Assam (nord-est), le Tamil Nadu (sud-est) et le Kerala (sud-ouest).
L'engagement politique au Bengale occidental (est), loin des foyers hindiphones du BJP dans le nord de l'Inde, peut rapidement prendre des tournures dramatiques au regard des milliers de morts dans les violences politiques qui ont eu cours ces dernières décennies.
Pas plus tard que le mois dernier, Shoubhik Dolai, 26 ans, un militant du parti régional Trinamool Congress que dirige Mamata Banerjee, a été assassiné à l'arme à feu.
Politique d'assassinats
"Ils l'ont criblé de balles. Je n'ai même pas été prévenue qu'il était mort. Je l'ai appris en regardant les informations à la télévision", confie à l'AFP sa mère Sumita, essuyant des larmes avec un coin de son sari en serrant sur sa poitrine une photo du défunt.
"Il a donné sa vie pour le bien du parti, mais personne du parti n'est venu, ne serait-ce qu'une fois, partager notre chagrin", déplore-t-elle dans sa pauvre maison en torchis du village de Makrampur.
Pour Amal Kumar Mukhopadhyay, politologue à Calcutta, capitale du Bengale occidental, la violence politique dans l'Etat a commencé à la fin des années 1960, avec la rébellion naxalite, mouvement insurrectionnel maoïste. "C'étaient de grands adeptes de la politique d'assassinats et lorsque le front de gauche (communistes) est arrivé au pouvoir, cette culture a persisté (...) Aujourd'hui, cette tendance se poursuit", dit-il à l'AFP.
Indira Gandhi, alors Première ministre, s'est débarrassé des Naxalites lors d'une opération militaire d'envergure en 1971, mais la violence a continué à couver tout au long des trois décennies de règne communiste sur l'Etat.
Mamata Banerjee a pris les commandes du Bengale occidental en s'appuyant sur les masses rurales et les musulmans qui représentent plus d'un quart de la population de l'Etat, et a mis fin au règne sanglant des communistes.
"Grande soeur" anti-Modi
Mais aujourd'hui, le Trinamool Congress et le BJP se livrent une lutte acharnée pour la domination politique de l'Etat, s'accusant mutuellement de violences. Le parti nationaliste hindou affirme que plus de 100 de ses ouvriers ont été tués ces deux dernières années, et le Trinamool clame la même chose. Des militants des deux partis ont été assassinés, dont les cadavres ont parfois été exhibés, suspendus aux arbres.
En décembre, le corps mutilé d'un militant du BJP, Sukhdev Pramanik, a été retrouvé dans un étang du village de Chandpara.
Qualifiée d'"excentrique lunatique" et de "bagarreuse de rue gueularde" par ses détracteurs, Mme Banerjee, 66 ans, fait tout ce qu'elle peut pour tenir le BJP à distance.
Mais le BJP, qui a déjà fait une percée dans l'Etat lors des élections nationales de 2019, galvanise la fibre hindoue de la population en cherchant, comme partout ailleurs, à polariser l'électorat sur des lignes religieuses, selon ses détracteurs.
"Didi" est montée au front pour tenter de former un "bloc d'opposition anti-Modi", estime Arati Jerath, analyste politique à Delhi. "La vaincre mettrait fin à ce genre de défi", déclare-t-elle à l'AFP.
"Emporter le Bengale pour un parti de droite comme le BJP serait l'ultime victoire sur la gauche", selon elle, "la gauche est leur premier ennemi en termes idéologiques".