BEYROUTH: Désigné il y a bientôt six mois, le Premier ministre Saad Hariri rencontre à nouveau lundi le président libanais Michel Aoun pour lui soumettre une « ébauche de gouvernement », mais l'heure reste à un profond pessimisme dans un pays en plein effondrement économique.
Dépréciation de la livre libanaise, explosion de la pauvreté et du chômage : sous le regard affligé de la communauté internationale, tous les indicateurs ont viré au rouge vif dans un Liban où l'érosion du pouvoir d'achat et la précarisation provoquent la colère et le dégoût de l'opinion publique, avec des manifestations et des blocages de routes sporadiques.
Si le Premier ministre désigné Hariri reste intraitable sur un gouvernement de technocrates composé uniquement de 18 ministres, le chef de l'influent mouvement chiite du Hezbollah, Hassan Nasrallah l'a appelé à revoir sa formule pour y inclure des représentants des partis --et en garantir ainsi, selon lui, le succès.
Comme jeudi dernier, Hariri est attendu lundi après-midi au Palais présidentiel de Baabda pour rencontrer le président Aoun et lui soumettre « une ébauche de gouvernement ».
Pour autant, « les divergences sont toujours là, (et) la situation n'est pas propice à la naissance d'un gouvernement », a affirmé lundi matin une source proche des négociations.
Trois fois Premier ministre, Saad Hariri, un des piliers de la classe politique traditionnelle, a été chargé en octobre de former un nouveau gouvernement attendu pour des réformes de toute urgence.
Résultat ? Une demi-année plus tard ou presque, les partis restent absorbés par leurs marchandages, se disputant comme si de rien n'était la répartition des portefeuilles, dans un pays multiconfessionnel mis en coupes réglées par les barons des diverses communautés.
« Aucun espoir »
Le gouvernement actuel, qui gère les affaires courantes, a démissionné en août après l'explosion dévastatrice du port de Beyrouth (plus de 200 morts, des milliers de blessés), un coup de grâce pour une population déjà exténuée par la crise et la pandémie.
Lundi, le profond pessimisme ambiant se retrouve à la une des grands quotidiens.
« Le Premier ministre Hariri se rend une nouvelle fois à Baabda, sans aucun espoir sur la possibilité d'une sortie de crise », tranche Al-Akhbar.
Selon ce quotidien proche du Hezbollah, le président Aoun réclame le portefeuille de l'Intérieur, ainsi qu'une minorité de blocage --un tiers-- au sein du gouvernement.
« Rien ne semble indiquer qu'on se dirige vers un déblocage », confirme le quotidien francophone L'Orient-Le Jour, évoquant des « pourparlers qui tournent en rond ».
Les récentes déclarations du chef du Hezbollah étaient déjà venues ajouter des complications.
Jeudi, il a plaidé pour un gouvernement alliant technocrates et politiciens. « Un gouvernement de technocrates qui ne serait pas protégé par les forces politiques ne pourra ni sauver le pays ni prendre des décisions », a-t-il argué.
Depuis, c'est silence radio du côté de Hariri. « L'objectif principal de n'importe quel gouvernement sera tout d'abord de stopper l'effondrement, (en coopération) avec le Fonds monétaire international, et de restaurer la confiance de la communauté internationale », avait-il auparavant indiqué.
« De toute urgence »
Le Premier ministre désigné avait rencontré Aoun jeudi après une énième poussée de fièvre. Le président avait lancé un ultimatum, lui enjoignant de former « immédiatement » un gouvernement ou de rendre son tablier.
La crise économique s'est accompagnée d'une forte dépréciation sur le marché noir de la monnaie nationale --à ce jour, 11 000 livres pour un dollar. Le taux officiel reste de 1 507 livres pour un dollar, quasiment dix fois moins.
A ce jour, les injections de la communauté internationale n'ont pas fait bouger une classe politique qui a déjà survécu à l'automne 2019 à un soulèvement populaire inédit fustigeant la « corruption » et l' « incompétence » des dirigeants.
Jeudi, devant le Conseil de sécurité de l'ONU, une responsable onusienne a de nouveau exhorté les autorités libanaises « à agir de toute urgence ».
« Les forces politiques doivent immédiatement faciliter la formation d'un gouvernement pleinement habilité à entreprendre les réformes nécessaires pour mettre le Liban sur la voie du redressement », ont dit les membres du conseil.
Récemment, une source diplomatique française avait estimé que les Européens et Américains devaient accroître les « pressions », brandissant même la menace de « sanctions ».