ANKARA: Le journaliste et écrivain turc Levent Gultekin a été attaqué par un groupe de vingt-cinq personnes après les récentes critiques qu’il a formulées à l’encontre du défunt homme politique Alparslan Turkes, le fondateur du Parti d’action nationaliste (MHP).
Des militants des droits de l'homme et des personnalités de l'opposition ont appelé mardi dernier le gouvernement turc à nommer les auteurs de cette agression qui s’est déroulée dans une rue animée d'Istanbul et qui intervient après plusieurs attaques similaires restées impunies jusque-là.
La libération, l'année dernière, de plusieurs prisonniers en vertu d'une loi d'amnistie a été critiquée. Elle aurait permis la libération et le retour dans la communauté de gangs d'extrême droite ultranationalistes, connus sous le nom de «Loups gris» et interdits dans plusieurs pays européens.
Une enquête a été ouverte au sujet de l'agression qu’a subie Gultekin, qui a été filmée par une caméra de sécurité près de Halk TV, une chaîne d'opposition où il se rendait pour participer à une émission. L'écrivain s'est retrouvé avec les doigts cassés.
«Ces vingt-cinq personnes sont probablement fières d'elles-mêmes. Je serais très gêné si j'étais à leur place. Attaquer une personne quand on est vingt-cinq, cela s’appelle du banditisme», déclare Gultekin sur Halk TV.
«J'étais un peu anxieux, mais je ne m'attendais pas à un assaut d'une telle ampleur. L’État de droit de la Turquie est mis à rude épreuve et ceux qui ont des liens étroits avec les dirigeants bénéficient d’une immunité», ajoute le journaliste.
La semaine dernière, Gultekin avait critiqué les Turcs pour avoir répandu le racisme dans le pays, provoquant une réaction violente sur les réseaux sociaux de la part de plusieurs hauts responsables du MHP.
À titre individuel, le chef adjoint du MHP, Semih Yalcin, a qualifié Gultekin «d'homme malade, d'ennemi des Turcs et de séparatiste qui déteste ceux que la nation aime, calomnie ceux qu'elle valorise, tente de diffamer ceux qu'elle respecte et dénonce les personnes honorables avec autant de haine que d'inimitié».
L’année dernière, Yalcin avait également incriminé le Parti démocratique du peuple pro-kurde en définissant ses membres comme «un troupeau d’insectes qui doivent être exterminés».
Le MHP est actuellement un allié politique du Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir en Turquie, pour détenir la majorité parlementaire.
Berk Esen, politologue de l’université Sabanci d’Istanbul, a déclaré à Arab News: «La violence politique a augmenté ces derniers mois de manière inquiétante. Le langage dur et les politiques punitives du bloc au pouvoir contre ses opposants le montrent. Dans un contexte où la répression est de plus en plus vive, les journalistes sont touchés de manière particulièrement dure par ce processus d'autocratisation dans le pays.»
Au mois de janvier, des attaques simultanées menées par des gangs nationalistes ont été menées dans la capitale, Ankara, contre des individus qui critiquaient le MHP, qu’il s’agisse de politiciens de l'opposition ou de journalistes dissidents.
«Bien que de telles attaques soient menées dans des centres-villes surpeuplés, les auteurs n'ont pas été arrêtés ou ont été immédiatement libérés, ce qui a conduit de nombreux commentateurs à penser qu'ils bénéficient du soutien tacite des autorités de l'État. En raison de la politisation du système judiciaire, les crimes commis contre les personnes qui critiquent le gouvernement engagent peu la responsabilité de leurs auteurs», fait observer M. Esen.
Alaattin Cakici, un leader mafieux notoire politiquement affilié au MHP, a récemment conseillé à Kemal Kilicdaroglu, le chef du principal parti d'opposition – le Parti républicain du peuple (CHP) – de «bien se tenir».
«Cette attaque ne me vise pas uniquement», confie Gultekin. «Personne n’est en sécurité en Turquie. Quelque soixante-sept femmes ont été assassinées au cours des soixante-cinq premiers jours de l’année 2021. Les règles visent à obliger les gens à respecter un ordre social. Mais, lorsque vous enlevez cette barrière de la loi, tout le mal est également libéré», explique le journaliste.
«En tant que journalistes dissidents, nous parlons et écrivons pour nous opposer aux actes répréhensibles. Nous ne pouvons pas garder le silence et de telles attaques ne peuvent absolument pas nous faire taire tant que nous sommes prêts à vivre dans un pays meilleur avec davantage de démocratie et davantage de liberté d'expression», ajoute-t-il.
Berk Esen note qu'il semble y avoir une rupture au sein du bloc au pouvoir entre l'AKP et le MHP, en ce qui concerne les critiques de l'État.
«Les dirigeants du MHP ont ouvertement critiqué les journalistes dissidents; ces derniers ont ensuite été attaqués dans la rue. Pendant ce temps, les autorités gouvernementales ont ouvertement critiqué ces attaques contre des dissidents, préférant recourir à des mécanismes plus subtils pour affaiblir l'opposition comme de longues poursuites judiciaires ou des pressions directes sur les organes de presse», indique le politologue.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com