ANKARA: Mehmet Hakan Atilla, PDG de la bourse turque d'Istanbul (Borsa Istanbul), a démissionné lundi, suscitant des interrogations sur les motifs derrière de cette brusque manœuvre qui touche l'un des principaux postes de gestion économique du pays.
Atilla a été nommé à son poste en octobre 2019, une décision controversée pour celui qui venait d’être condamné à 32 mois de prison aux États-Unis. L’homme aurait aidé l'Iran à contourner les sanctions alors qu'il était directeur adjoint de la banque d'État turque Halkbank, une affaire considérée par le président turc Recep Tayyip Erdogan comme une agression politiquement motivée contre le gouvernement turc.
Atilla a purgé une peine de 28 mois de prison aux États-Unis et a été libéré en 2019, lorsqu'il a été nommé à la tête de la bourse par le gendre d'Erdogan et ancien ministre des Finances, Berat Albayrak.
Certains analystes estiment que la démission pourrait être liée au procès imminent de Halkbank le 3 mai à New York, un geste pour corriger les relations américano-turques dans les prochains mois. Le but serait aussi d’attirer les investisseurs étrangers au milieu de spéculations croissantes selon lesquelles Albayrak pourrait revenir à un poste de gestion économique dans le gouvernement.
Lors du prochain procès à New York, Halkbank risque une amende de 20 milliards de dollars pour blanchiment d'argent, évasion de sanctions et fraude car la banque est accusée d'avoir aidé à faire passer plus de 20 milliards de dollars pour l'Iran en violation des sanctions américaines.
Toutefois, pour Wolfango Piccoli, coprésident de Teneo Intelligence à Londres, la démission d’Atilla ne changera certainement rien au procès de Halkbank et des relations américano-turques.
«C'est une décision désespérée d'Ankara, qui met une fois de plus en évidence l'incapacité des décideurs turcs à comprendre comment ce genre de questions est géré aux États-Unis», a déclaré Piccoli à Arab News.
EN BREF
Atilla a purgé une peine de 28 mois de prison aux États-Unis, et a été libéré en 2019, lorsqu'il a été nommé à la tête de la bourse par le gendre d'Erdogan et ancien ministre des Finances Berat Albayrak.
Selon Piccoli, pour l'avenir, deux questions clés intéressent les investisseurs: le montant de l'amende qui sera infligée si Halkbank est reconnue coupable, comme on le présume généralement, et la réaction des autorités turques une fois que la décision et l'amende sont annoncé.
«Pendant ce temps-là, les investisseurs surveilleront la procédure judiciaire pour voir si l'ensemble du procès devient politiquement embarrassant pour les hauts responsables politiques turcs - une évolution qui pourrait avoir un impact négatif sur les relations bilatérales déjà fragiles entre Ankara et Washington», a-t-il ajouté.
Selon la politique habituelle en Turquie, les choses se sont déroulées par paires, la démission d'Atilla étant suivie d'une décision présidentielle explosive rejetant Zafer Sonmez en tant que PDG du Fonds de richesse de la Turquie, qui détient la Bourse d'Istanbul. Comme Atilla, Sonmez a également été nommé par Albayrak.
«Je crois que certains associeront le départ d'Atilla et de Sonmez à l’élimination de tous les anciens hauts responsables nommés par Albayrak. Mais la nomination de Sonmez était plus technocratique, et je pense qu'il avait fait un bon travail en mettant le fonds turc de richesse sur pieds après qu'il est resté sans bouger pendant les deux premières années de son existence», a déclaré à Arab News, Timothy Ash, stratège en chef de marché chez BlueBay Asset Management, installé à Londres.
«Il était plus un gourou souverain de la richesse plutôt qu’un loyaliste d’Albayrak, donc je ne vois pas pourquoi le ministre des Finances Lutfi Elvan et le gouverneur de la banque centrale Naci Agbal auraient voulu le congédier. Il faut aussi noter que son remplaçant est un autre membre du conseil et candidat préféré d’Albayrak. Ceci soulève la possibilité que Sonmez ait démissionné pour une autre raison », a ajouté Ash.
Agbal est connu pour sa position critique contre les politiques économiques mises en œuvre par Albayrak, optant plutôt pour des choix politiques plus orthodoxes comme la lutte contre l'inflation et l'augmentation du taux directeur.
Selon Ash, la démission d'Atilla pourrait être liée directement au début du procès de Halkbank. «Les autorités turques ne veulent pas que des retombées de cela endommagent la Bourse d'Istanbul», a-t-il expliqué.
Mais les experts soulignent également les critiques de longue date sur les nominations aux postes de haute direction du pays sur la base du favoritisme politique.
Pour Piccoli, il reste à voir s'il s'agit d'une véritable restructuration au sommet de ces institutions, ou un remaniement des figures du népotisme.
«Le début n’est pas si prometteur, car le nouveau directeur du Fonds de richesse de la Turquie n’est autre qu’un camarade de classe du fils du président Erdogan, Bilal», a-t-il confié. «Comme c'est le cas depuis longtemps, la méritocratie ne joue aucun rôle dans les nominations importantes faites par le gouvernement en Turquie».
Le Fonds souverain de la Turquie envisage une introduction à la Bourse d’Istanbul d’ici l’année prochaine.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com