PARIS: « Ma nomination est d'abord due à mon travail d'historien », assure-t-il. Pourtant, Pap Ndiaye ne rejette pas la charge symbolique de son arrivée à la tête du Palais de la Porte Dorée, estimant qu'elle « ouvre le champ des possibles » aux jeunes « non-blancs ».
Cet universitaire de 55 ans, spécialiste de l'histoire sociale des États-Unis et des minorités, a pris, le 1er mars, la tête du Palais de la Porte Dorée, institution publique qui comprend le Musée de l'histoire de l'immigration et l’Aquarium tropical, hébergés au sein du palais, situé dans l'est de la capitale.
Une nomination que beaucoup voient comme un symbole. Celle d'un homme métis, né d'un père sénégalais et d'une mère française, à la tête d'une grande institution culturelle française, chargée, qui plus est, des questions d'immigration et de mémoire.
« Ma nomination est d'abord due à mon travail d'historien, j'ai une longue carrière d'universitaire, une carrière à l'international », égrène-t-il d'un ton posé lors d'un entretien
« Mais je ne suis pas aveugle à la question du symbole, à laquelle je ne tourne pas le dos. Je m'assume tel quel avec ma couleur de peau et je sais que ma nomination ouvre le champ des possibles à de nombreux enfants non-blancs », poursuit-il.
Vulgariser et transmettre
Normalien, agrégé d'histoire et titulaire d'un doctorat obtenu à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Pap Ndiaye, a été professeur de nombreuses années à Sciences Po Paris. Respecté par ses pairs, il fait figure de « pointure » sur les questions liées aux minorités.
Mais c'est « La condition noire, essai sur une minorité française » (Calmann-Lévy), son ouvrage de référence, publié en 2008, qui l'a fait connaître auprès du grand public.
« Mon objectif, c’était de fournir des arguments et des savoirs aussi robustes que possible à ces jeunes qui manquent de références solides. Il me semblait que cela relevait de mon rôle de pédagogue d'offrir ces fondements », détaille-t-il.
En 2019, toujours avec l'envie de vulgariser ses sujets d'étude, il devient conseiller scientifique de l'exposition « Le modèle noir » qui s'est tenue au musée d'Orsay, sur la représentation des Noirs dans les arts visuels. Plus récemment, il a co-présenté, un rapport sur la diversité à l'Opéra de Paris.
« Je m'intéresse depuis très longtemps au monde de la culture (...) qui doit s'ouvrir et parler du monde tel qu'il est », souligne-t-il, voyant dans son arrivée au Palais de la Porte dorée « une nouvelle étape ».
Tout d'abord « musée des Colonies », puis, « de la France d'outre-mer », et enfin des « Arts d'Afrique et d'Océanie », le musée de l'histoire de l'immigration, qui avait fermé ses portes en 2003 pour rouvrir en 2007, a une histoire mouvementée.
Pas contre l’universalisme
Pas de quoi effrayer Pap Ndiaye qui ambitionne de faire de ce musée « un établissement culturel central dans le paysage français mais aussi international ».
Pour cela, c'est toute l'exposition permanente qui est en train d'être repensée. Celle-ci, qui aborde la question des migrations vers et depuis la France, va être enrichie pour y inclure le 18e siècle et la question de la traite négrière.
L'historien veut aussi faire de ce lieu un endroit où l'on débat des questions de colonisation, thème qui enflamme régulièrement la société française. Pour y parvenir, il souhaite l'ouvrir aux étudiants et aux universitaires afin d'y organiser des colloques et des séminaires.
« Ces questions intéressent les étudiants. Si elles ne sont pas débattues dans l'université, alors, elles le seront ailleurs avec des ressources qui sont discutables », estime-t-il.
Alors qu'il a passé sa vie à s'intéresser aux minorités, que répond-il à ceux qui dénoncent un retour de la question « raciale », au détriment de l'universalisme républicain ? « La critique universaliste manque son objectif si elle considère que travailler sur des groupes particuliers c'est tourner le dos à l'universalisme », rétorque-t-il.
« Au contraire, c'est prendre l’universalisme au sérieux en réclamant que les devises sur les frontons des bâtiments de la République soient inscrites dans la vie des personnes ».