TUNIS: Hôteliers et autorités sont en désaccord depuis plusieurs années sur la façon de régler l’épineux problème de la dette. Qui fait peser sur le système bancaire le risque d’une crise systémique.
Être nommé ministre du Tourisme et de l’Artisanat aujourd’hui en Tunisie n’est pas un cadeau. Succéder à René Trabelsi, qui a occupé ce poste de novembre 2018 à février 2020, et qui est crédité d’un très bon parcours et d’un bilan positif, encore moins. Pourtant, Mohamed Ali Toumi, chef d’entreprise de son état, n’a pas hésité à entamer une première expérience politique d’autant plus périlleuse que l’industrie touristique s’apprêtait à vivre, à cause de la pandémie de Covid-19, sa plus grave crise depuis la première guerre du Golfe en 1991.
Déjà bien mal en point avant cette crise, l’industrie touristique risque d’y laisser des pans entiers. Depuis une bonne dizaine d’années, près du tiers des 800 hôtels que compte le pays sont en grave crise. Leur endettement s’est aggravé au fil des ans et s’élève aujourd’hui à 4,3 milliards de dinars (près de 1,4 milliard d’euros), faisant peser sur le secteur bancaire le risque d’une crise systémique.
Cette situation risquant fort de s’aggraver du fait de la pandémie de Covid-19, le nouveau ministre du Tourisme et de l’Artisanat a pris d’emblée le taureau par les cornes, dans l’espoir de pouvoir mettre d’accord gouvernement et hôteliers, que le sujet divise depuis longtemps.
Après un premier round de discussion avec les principales parties prenantes de cet épineux dossier, Mohamed Ali Toumi a soumis au chef du gouvernement une note dans laquelle il propose la création d’un « groupe de travail de haut niveau ». Sa mission sera d’« évaluer les mesures prises précédemment dans le cadre de la restructuration financière du secteur touristique et trouver des solutions ».
Il s’agit en l’occurrence des deux mécanismes mis sur la table respectivement par les hôteliers et les autorités : l’Asset Management Company et le Livre blanc.
Annoncée en septembre 2012, par le chef du gouvernement démissionnaire lorsqu’il était ministre du Tourisme, l’Autorisation de mise à la consommation (AMC), détenue par l’État, devait reprendre les créances des banques auprès des hôteliers, et vendre les établissements dont les propriétaires
seraient incapables de rembourser les crédits.
Refusant d’être dépossédés de leurs biens, les hôteliers « se sont mobilisés et ont fait du lobbying », révèle le ministre du Tourisme et de l’Artisanat. Le projet est tombé à l’eau.
Élaboré principalement par la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH) et la Société tunisienne de banque, la plus importante banque publique, détentrice de près d’un tiers des créances du secteur (1,4 milliard de dinars), le Livre blanc propose d’attirer de nouveaux investisseurs « car les fonds propres du secteur sont insuffisants à son redressement », explique un hôtelier. Mais « pour que cela se fasse et que certaines établissements puissent être restructurés et rénovés, il faut une incitation fiscale à cet apport d'argent frais. Que le ministère des Finances refuse d’accorder », dévoile notre interlocuteur.
Mohamed Ali Toumi avait l’intention de lancer un nouveau round de discussions « pour voir laquelle des options est la meilleure ou s’il est possible de mixer les deux », explique-t-il. Car « on ne peut pas sauver le tourisme sans régler au préalable le problème de l’endettement », justifie le ministre. Le gouvernement étant démissionnaire depuis le 15 juillet, « nous croisons les doigts pour que notre ministre soit maintenu dans la prochaine équipe et puisse ouvrir rapidement le dossier de l’endettement », déclare un hôtelier.