BEYROUTH: Six mois après l'explosion meurtrière du port de Beyrouth, l'enquête sur ses causes est revenue à la case départ. La Cour de cassation libanaise a écarté jeudi le juge Fadi Sawan de l’affaire, à la demande de deux des anciens ministres qu’il avait accusés - Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaiter.
Youssef Fenianos, ancien ministre des Travaux publics, devait être interrogé jeudi mais il a déclaré qu'il ne se présenterait pas car il n'avait pas reçu de convocation officielle, a-t-il affirmé.
La décision unanime du tribunal était attendue. Il y a deux mois, Khalil et Zeaiter, qui avaient également refusé d'être interrogés sur l'explosion de Beyrouth, ont soumis une requête de retrait de Sawan de l'affaire en raison de «soupçons légitimes» sur sa neutralité.
Une source judiciaire a déclaré à Arab News que: «La décision du tribunal était fondée, en plus de 'soupçons légitimes', sur un autre argument: la maison de Sawan à Achrafieh a été endommagée par l'explosion, (pour laquelle) le juge a reçu 13 millions de livres libanaises du Haut Comité de Secours en compensation».
Sawan a fait face à des pressions politiques depuis le début de l’enquête sur l’explosion - qui a tué 202 personnes, blessé plus de 6 000, détruit des milliers de maisons et démoli le principal silo à grains du Liban - après avoir lancé plusieurs mandats d’arrêt contre de hauts responsables du port ainsi que des hauts responsables de la sécurité.
Il a également été critiqué pour avoir convoqué le Premier ministre du gouvernement intérimaire, ainsi que les ministres actuels et anciens, pour les interroger sur les 2 750 tonnes de nitrate d'ammonium, qui avaient été dangereusement stockées pendant plus de six ans au port.
Les médias ont également fait campagne contre Sawan. Jeudi, il a été accusé par le journal libanais pro-Hezbollah Al-Akhbar d ’«hérésie».
Marie-Claude Najm, ministre libanaise de la Justice, devrait nommer un autre juge pour succéder à Sawan, mais toute nomination doit être approuvée par le Conseil supérieur de la magistrature.
La source judiciaire a en outre révélé à Arab News que: «Le nouveau juge étudiera certainement à nouveau l'affaire et pourrait même annuler les décisions de Sawan concernant les mesures prises contre ceux qui ont été détenus».
La source a qualifié tout nouveau juge qui accepte de mener l'enquête, d’un «acte suicidaire».
Les médias et les militants qui critiquent les performances de l’État font également l’objet de pressions politiques.
Jeudi, l'activiste Rami Fanj a été libéré après avoir été arrêté mercredi pour avoir nourri les pauvres de la ville. Une campagne a ainsi été lancée sur les réseaux sociaux et à Tripoli pour exprimer son soutien et sa solidarité avec Fanj.
Fanj a annoncé avoir été interrogé sur «la source de financement pour distribuer de la nourriture». Il a ajouté: «Même s'ils considèrent que nourrir les pauvres est un crime, nous n’allons pas nous arrêter».
Pendant ce temps-là, la commission parlementaire des médias et de la communication a convoqué les présidents des chaînes de télévision locales dans le but d’«expliquer certains incidents médiatiques survenus ces derniers temps», selon le chef de la commission et le législateur du Hezbollah Hussein Al-Haj Hassan.
Al-Haj Hassan a déclaré: «Certaines erreurs doivent être corrigées, telles que conspirer pour inciter à la sédition, menacer la stabilité et la sécurité nationales, inciter à des conflits sectaires et confessionnels et accuser à tort quelqu'un de meurtre, sans preuves issues d’enquêtes». Hassan faisait probablement référence à des accusations répandues selon lesquelles le Hezbollah était responsable du meurtre de l'éminent critique et activiste anti-Hezbollah Loqman Slim il y a deux semaines. Plusieurs personnalités pro-Hezbollah ont lancé leurs propres objections contre ces accusations.
Joseph Kossaifi, président du Syndicat libanais des éditeurs de presse, a dévoilé à Arab News qu'une réunion se tiendrait vendredi en présence des chefs des bureaux des médias politiques, demandant aux politiciens de «choisir avec soin et de manière responsable leurs mots lorsqu’ils parlent sur les chaînes de télévision de manière à ne pas tenir les médias pour responsables d’insultes et d’accusations».
«Lorsque le député Al-Haj Hassan a convoqué les présidents des chaînes de télévision au parlement, il ne nous a pas consultés. Personne ne peut réduire au silence des journalistes ou de quiconque. Le pays est dans le chaos complet et les politiciens doivent choisir leurs mots avec soin», a ajouté Kossaifi.
Le parti Al-Kataeb et le Parti socialiste progressiste ont critiqué ce qu’ils ont qualifié de «tentative de faire du Liban un État policier et d’opprimer les opinions des autres ainsi que la liberté des médias».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com