CASABLANCA: 7 milliards d’euros… C’est ce que coûte annuellement la corruption au Maroc, soit près de 7% de son produit intérieur brut (PIB). Il y a trois ans, le chef du gouvernement l'avait estimé à 5% du PIB. L'Association marocaine pour la protection des biens publics (AMPBP) parle de plus de 5%. Un fléau qui gangrène le Royaume et qui s’aggrave de plus en plus.
Malgré les annonces des autorités du pays, le lancement de plusieurs stratégies et l’instauration d’une instance de lutte contre la corruption, cette dernière perdure. Les efforts du gouvernement pour en venir à bout semblent inefficaces.
Rappelons qu’en 2011, en marge des manifestations du printemps arabe, le Parti islamiste de la justice et du développement (PJD) avait fait de la lutte contre la corruption et de la reddition des comptes son fer de lance et l’un des principaux axes de son programme électoral.
Une décennie plus tard, rien ou presque n’a été fait dans ce sens. Pire, le Maroc recule dans les classements mondiaux relatifs à la lutte contre la corruption.
Soupçons de passation de marchés en période Covid-19
L’indice de perception de la corruption 2020 de Transparency International classe le Maroc à la 86e place sur les 180 pays qui figurent dans l’indice. Le Royaume recule ainsi de six rangs par rapport à l’année 2019. En outre, avec un score de 40 sur 100, il perd trois points comparé à l’année dernière.
Un score peu reluisant pour un pays dont la corruption est devenu «endémique et profonde», note l’organisation internationale. «Lors de la pandémie de Covid-19, le pays a imposé un état d'urgence qui a conduit à la restriction des mouvements et à la fermeture des frontières nationales», précise-t-elle.
Bien que le gouvernement ait pris des mesures exceptionnelles en réponse à l'urgence sanitaire, en particulier pour ce qui concerne les marchés publics, ces mesures manquaient de contrôle et permettaient des exemptions spéciales dont le gouvernement n'a pas été tenu de rendre compte», fait également savoir Transparency International.
Sur ce point, d’ailleurs, beaucoup de voix se sont élevées, notamment au Parlement marocain, pour exprimer des soupçons concernant la passation de marchés publics par le ministère de la Santé en période de Covid-19. Une commission d’enquête parlementaire a été créée, mais ses investigations n’ont pu se poursuivre en raison du refus du ministère de la Santé et de celui de l’Économie et des Finances de lui remettre des documents qui, selon des sources proches du dossier, seraient compromettants.
Une table de réunion à plus de 75 000 euros
Au Maroc, ces affaires de détournements de deniers publics, de pots de vin, de fraude, d’extorsion de spoliation des terres de l’État ainsi que des biens publics font partie du quotidien des Marocains; chaque jour, de nouvelles affaires de corruption sont rapportées par les journaux.
La dernière en date concerne l’acquisition par le ministère de la Justice marocain d’une table de réunion à plus de 75 000 euros, l’équivalent d’un appartement de moyen standing à Casablanca. L’inspection générale des finances avait émis un rapport d’enquête accablant sur des achats effectués par ce ministère, à l’exemple de cette table de réunion ou de poubelles valant 600 euros.
11 milliards d’euros subtilisés de la Caisse nationale de sécurité sociale
«Le problème, au Maroc, c’est la reddition des comptes. Chaque jour, on entend parler de détournements de deniers publics, de favoritisme, d’affaires de corruption de plusieurs millions d’euros, preuves à l’appui parfois. On crée des commissions d’enquête et on enterre ces dossiers. Il faut que l’appareil judiciaire soit véritablement indépendant pour inculper ces responsables et donner l’exemple», nous révèle un militant associatif qui a requis l’anonymat.
D’ailleurs, l’une des affaires qui avait défrayé la chronique est celle de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Une histoire rocambolesque dans laquelle les onze accusés, des responsables de cet organisme, ont détourné la coquette somme de 11 milliards d’euros dans les années 1980.
«Onze personnes ont volé l’équivalent de 12% du PIB du Maroc. C’est du jamais vu. Le procès a duré plus de vingt ans et le verdict a été une énorme déception. Le principal inculpé, Rafik Haddaoui, ancien ministre de l’Emploi et ancien directeur général de la caisse, a écopé de quatre ans de prison avec confiscation de ses biens et la restitution de 60 millions d’euros à l’État», explique notre source. Un procès qui a accouché d’une souris, comme celui de la banque marocaine Crédit immobilier et hôtelier (CIH), où il est question de détournements dépassant 1,5 milliard d’euros.
Lorsque la corruption tue!
Endémique et structurelle, la corruption touche au Maroc tous les secteurs sociaux et économiques du pays, affectant considérablement le développement du pays et empêchant une meilleure répartition des richesses. Elle peut également tuer. L’exemple le plus récent est celui de l’incident de Tanger, survenu le lundi 8 février 2021, qui a causé le décès de vingt-neuf ouvriers, des inondations ayant submergé le sous-sol d’une villa qui abritait une usine de textile dite «clandestine».
Selon nos informations, le propriétaire de l’usine a pu bénéficier de toutes les autorisations nécessaires pour exercer, alors même qu’aucune mesure de sécurité n’a été respectée. Ce fut également le cas en 2008 à Casablanca, lorsqu’un incendie avait ravagé l’usine Rosamor, tuant cinquante-six personnes qui s’étaient retrouvées bloquées en raison de l’absence d’issues de secours.