RANGOUN : Manifestations massives samedi, constitution de comités de citoyens, appel de l'ONU à libérer Aung San Suu Kyi : la pression augmente sur les militaires au pouvoir depuis le coup d'Etat du 1er février en Birmanie, qui multiplient les arrestations d'opposants.
Pour le 8e jour consécutif, plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue samedi.
A Rangoun, les manifestants se sont rassemblés, trois doigts levés en signe de résistance, et le trafic s'est arrêté dans un concert de klaxons pour célébrer l'anniversaire du héros de l'indépendance birmane, le général Aung San, qui aurait eu 106 ans samedi.
Il était aussi le père d'Aung San Suu Kyi, l'ex-cheffe de facto du gouvernement, renversée par le coup d'Etat et désormais détenue au secret depuis 13 jours dans une résidence de Naypyidaw, la capitale administrative du pays, où elle est « en bonne santé », selon un message publié par son parti sur Facebook samedi.
Des manifestations se sont tenues dans d'autres villes. Naung Po Aung, un village reculé de 7 500 habitants dans le nord du pays, a même accueilli un défilé de plusieurs centaines de personnes, soulignant l'ampleur de l'opposition au coup d'Etat à travers toute la Birmanie.
Vendredi soir, des comités de vigilance citoyenne ont vu spontanément le jour à travers la Birmanie, chargés de surveiller leur voisinage en cas d'opérations menées par les autorités pour arrêter des opposants.
Une vidéo filmée dans un quartier de Rangoun, la capitale économique, montrait de nombreux habitants envahissant la rue, défiant le couvre-feu instauré à 20 heures, après des rumeurs d'une descente de la police venue arrêter des dissidents.
Des comités de citoyens anti-junte
Frappant sur des casseroles et des poêles, une action habituellement associée à la présence du mal, ils se répondaient en criant: « Nous, les habitants de San Chaung, sommes-nous unis? ». « Nous le sommes! Nous le sommes! »
« Nous ne savions pas qui allait être emmené, mais quand nous avons entendu le bruit, nous sommes sortis rejoindre nos voisins », a déclaré Tin Zar, une commerçante du nord de Rangoun. « Même s'ils tirent, nous n'avons pas peur ».
Les protestations ont réuni différentes composantes de la société, des moines en robe safran aux joueurs de l'équipe nationale de football.
« Nous ne jouerons plus au football que dans la rue, jusqu'au retour de la démocratie », a dit Kyaw Zin Htet, un gardien de but. »Nous ne jouerons plus au sein de l'équipe nationale sous la dictature militaire ».
Pour leur part, des centaines de moines ont organisé une prière devant l'ambassade américaine.
« Les Birmans veulent la démocratie, et nous les soutenons », a tweeté l'ambassade dans un message de solidarité.
The civil disobedience movement and demonstrations show that the people of Myanmar want democracy. We stand with them.
— U.S. Embassy Burma (@USEmbassyBurma) February 13, 2021
A Pathein (sud), connue pour ses parasols traditionnels peints à la main, des centaines de personnes ont marché de nuit vers l'hôpital public pour tenter de défendre le médecin en chef, une rumeur son arrestation par l'armée faisant le tour de la ville.
Le médecin, connu pour ses positions anti-junte mais qui n'a finalement pas été arrêté, est sorti saluer la foule rassemblée devant l'établissement les trois doigts levés en signe de résistance à l'armée. « Si j'ai des problèmes, je ferai appel à vous », leur a lancé Than Min Htut.
Le médecin a assuré qu'il continuerait de participer au movement de désobéissance civile contre la junte.
Les manifestations se déroulaient pour l'essentiel dans le calme, mais cette semaine, les forces de l'ordre ont fait usage de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Deux manifestants ont été grièvement blessés par des tirs à balles réelles, dont une jeune femme de 20 ans, Mya, toujours dans un état critique, devenue une icône du mouvement anti-junte.
Les Rohingyas s'inquiètent du retour des militaires
L'Etat Rakhine, où vivent la minorité Rohingya et une large majorité bouddhiste, est secoué par un conflit depuis des décennies. Ces dernières années, l'armée y a combattu les insurgés de l'armée Arakan, qui lutte pour une plus grande autonomie pour la population bouddhiste, dite Rakhine. Mais quelques jours après le coup, la junte a mis fin à 19 mois de coupure d'internet et a réaffirmé son engagement à un cessez-le-feu avec le groupe rebelle. Le régime a également annoncé qu'un membre d'un parti nationaliste Rakhine ferait son entrée au gouvernelment. Certains dans la région estiment qu'une alliance avec les militaires leur donnera l'occasion d'obtenir une plus grande autonomie pour le Rakhine.D'autres pourtant partagent l'appréhension des Rohingyas à l'idée d'un retour du régime militaire, même si les dix ans d'expérience démocratique sous la direction d'Aung San Suu Kyi n'ont guère amélioré les conditions de vie sur place.
Pression internationale
La situation en Birmanie est depuis douze jours au cœur de l'agenda international.
Depuis le putsch, « plus de 350 responsables politiques, représentants de l'Etat, militants et membres de la société civile, y compris des journalistes, des moines et des étudiants ont été placés en détention », a relevé l'ONU lors d'une session extraordinaire de son Conseil des droits de l'homme vendredi, jugeant « inacceptable » l'usage de la violence contre des manifestants.
Lors de cette réunion, le régime des généraux a été mis sous pression avec l'adoption d'une résolution exigeant la libération immédiate d'Aung San Suu Kyi.
Washington a annoncé jeudi de nouvelles sanctions contre des militaires, dont leur chef Min Aung Hlain.
Les géants de l'internet ont de leur côté dénoncé un projet de loi sur la cybersécurité qui permettra à la junte de les obliger à transmettre des métadonnées d'utilisateurs.
Facebook, principal moyen de communication pour des millions de Birmans, a déclaré qu'il réduirait la visibilité du contenu géré par l'armée, affirmant que celle-ci répandait « de fausses informations ».
Les généraux contestent la régularité des élections de novembre, remportées massivement par la LND.
La Birmanie a déjà vécu près de 50 ans sous le joug des militaires depuis son indépendance en 1948 avec des répressions sanglantes en 1988 et 2007.