RANGOUN: Les Birmans ont commencé mercredi à descendre dans la rue pour le cinquième jour consécutif, au lendemain d'un raid nocturne de l'armée contre le siège du parti d'Aung San Suu Kyi, une action qui montre la détermination des généraux putschistes face aux appels à rétablir la démocratie.
Plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées à la mi-journée dans le centre de Rangoun, la capitale économique du pays, dans une ambiance électrique, alors que la répression a franchi un nouveau cap mardi.
"Nous ferons tout pour rejeter le gouvernement militaire" a déclaré à l'AFP Kyaw Kyaw, un employé d'hôtel.
"Nous ne voulons pas rester sous la dictature. J'ai aussi un peu peur après la répression d'hier" a ajouté Khin Nyein Wai, étudiant.
Une manifestation était également en cours à Naypyidaw, la capitale construite par la junte au coeur de la jungle.
L'ONU a condamné mardi l'usage "disproportionné" et "inacceptable" de la force par l'armée qui a mené la semaine dernière un coup d'Etat.
Femme blessée par balle
Le rapporteur spécial des Nations unies pour la Birmanie, Tom Andrews, a condamné l'usage de la force, et assuré que la police avait tiré et blessé une jeune femme à Naypyidaw. Les images de cette action ont été massivmeent partagées sur les réseaux sociaux.
"Ils peuvent tirer sur une jeune femme, mais ils ne peuvent pas voler l'espoir et la détermination d'un peuple", a écrit mercredi l'envoyé des droits de l'homme. "Le monde est solidaire des manifestants de Birmanie".
Selon un médecin de l'hôpital de Naypyidaw, la jeune femme, Mya Thwe Thwe Khine, est "en soins intensifs car elle a besoin d'aide pour respirer et reste inconsciente" mercredi matin.
Un autre médecin avait affirmé mardi que les militaires avaient tiré à balles réelles, à en juger par les blessures subies par deux jeunes hommes hospitalisés dans un état critique. "Nous pensons qu'il s'agit de balles réelles", a déclaré ce médecin.
A Mandalay (centre), la deuxième ville du pays, la police a tiré des gaz lacrymogènes contre des protestataires qui agitaient des drapeaux de la Ligue nationale pour la démocratie (LND).
Selon la LND, les militaires ont mené mardi soir un raid contre les locaux de la formation à Rangoun.
"Le dictateur militaire a investi et détruit le quartier général de la LND aux environs de 21H30" (15H00 GMT), a indiqué le parti sur sa page Facebook, alors qu'avaient lieu des manifestations dans plusieurs villes, réprimées avec des canons à eau et des tirs de balles en caoutchouc.
Un membre de la LND, Soe Win, a déclaré mercredi à l'AFP qu'un gardien avait vu le raid mené par les forces de sécurité via un système de vidéosurveillance à distance, mais qu'il n'avait pas pu intervenir en raison du couvre-feu.
Dans la matinée, ils ont trouvé des serrures forcées, du matériel informatique manquant, du câblage électrique et des câbles de serveur coupés et ses documents bancaires avaient disparu d'un coffre-fort. Selon Soe Win, le parti prévoit de porter plainte auprès de la police.
Les autorités ont interdit depuis lundi soir les rassemblements de plus de cinq personnes à Rangoun, Napypidaw et dans d'autres villes. Un couvre-feu a été décrété et les manifestants se sont dispersés en début de soirée.
Bravant les menaces, les manifestants sont à nouveau descendus mardi dans les rues, même si les foules ont été moins nombreuses que les jours précédents.
"Pas de dictature!", "nous voulons notre chef!" Suu Kyi, détenue au secret depuis son arrestation le 1er février, pouvait-on lire dans la journée sur des banderoles brandies par des contestataires près du siège de la LND à Rangoun.
Ces derniers jours, des centaines de milliers de manifestants ont défilé à travers le pays, réclamant la libération des personnes détenues, la fin de la dictature et l'abolition de la constitution de 2008, très favorable à l'armée.
Ce vent de contestation est inédit depuis le soulèvement populaire de 2007, la "Révolution de safran" menée par les moines et violemment réprimée par les militaires.
Le risque de répression est réel dans le pays qui a déjà vécu près de 50 ans sous le joug des militaires depuis son indépendance en 1948.
Suu Kyi "en bonne santé"
Le putsch du 1er février a mis fin à une brève parenthèse démocratique d'une décennie.
L'armée conteste la régularité des législatives de novembre, remportées massivement par la LND. Mais des observateurs internationaux n'ont pas constaté de problèmes majeurs lors de ce scrutin.
En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d'Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution.
Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité lors des exactions contre les musulmans rohingyas, la prix Nobel de la paix, en résidence surveillée pendant 15 ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays.
L'ex-dirigeante serait "en bonne santé", assignée à résidence à Naypyidaw, d'après son parti.
Le coup d'Etat a été condamné par les Etats-Unis, l'Union européenne, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays.
La Nouvelle-Zélande a annoncé la suspension de ses contacts militaires et politiques de haut niveau avec la Birmanie, devenant le premier pays à décider d'un isolement de la junte.
Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU va tenir vendredi une session spéciale sur ces événements. Le Conseil de sécurité des Nations unies a de son côté appelé à la libération des détenus.